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L’envers de l’info : les victimes de tragédies et les médias

la photo d'un homme entourée de chandelles, fleurs et hommages

Un hommage à Chul Min (Eddie) Kang, l'une des 10 victimes de l'attaque au camion-bélier de la rue Yonge.

Photo : The Canadian Press / COLE BURSTON

Radio-Canada

Humboldt. Toronto. Deux tragédies près de chez nous à un peu plus de deux semaines d'écart. Les victimes sont nombreuses : 16 en Saskatchewan, 10 en Ontario, sans compter les blessés. Vu l'intérêt du public généré par ces tragédies, leurs proches se retrouvent malgré eux au coeur d'une couverture médiatique intense, possiblement au pire moment de leur vie.

Une chronique d’Eve Caron

Cet intérêt médiatique, Maureen Basnicki l’a vécu le 11 septembre 2001.

La Torontoise, qui était alors agente de bord pour Air Canada, se trouvait dans sa chambre d’hôtel en Allemagne lorsqu’elle a allumé la télévision. Son mari, Ken Basnicki, était quant à lui en visite à New York pour une réunion d’affaires au World Trade Center.

Vous pouvez imaginer l’horreur et le choc que j’ai vécus en regardant à la télévision le second avion percuter la deuxième tour du World Trade Center.

Une citation de Maureen Basnicki, veuve de Ken Basnicki

Clouée au sol en raison de l’interdiction de vol imposée après les attentats, Maureen Basnicki a suivi la couverture en direct à la télévision pendant trois jours.

Les médias, dit-elle aujourd’hui, étaient à ce moment-là sa principale source d’information sur la tragédie qui a emporté son mari.

un homme affichant un léger sourire pose pour une photo. En dessous, on peut lire « Have you seen Ken Basnicki »

Le Torontois Ken Basnicki est mort dans l'un des attentats du 11 septembre 2001. Il se trouvait au 106e étage d'une des deux tours du World Trade Center.

Photo : Image partagée par Maureen Basnicki

Mais pendant ce temps, les demandes d’entrevues de journalistes ont rapidement commencé à affluer. Des journalistes commençaient à se présenter chez elle, où ses enfants de 16 et 21 ans vivaient leur deuil avec leurs grands-parents. Ainsi, les médias sont aussi devenus une source de stress.

Nous avions des sentiments partagés quant aux médias, parce qu’ils nous permettaient d’obtenir de l’information, mais ils étaient aussi intrusifs. Nous n’avions pas de temps pour eux.

Une citation de Maureen Basnicki, veuve de Ken Basnicki

Si Maureen Basnicki n’hésite pas à parler de ces moments aujourd’hui, elle a mis des mois avant d’en arriver là.

« [Les médias] sont un couteau à double tranchant », dit-elle, 16 ans plus tard.

Comment parler des victimes?

Dans les heures qui ont suivi l’attaque au camion-bélier du 23 avril à Toronto, les noms de certaines victimes ont commencé à circuler dans les salles de nouvelles. Anne Marie D’Amico a été la première à être identifiée publiquement par ses proches.

En rédigeant une manchette à son sujet pour mes bulletins de nouvelles, je me sentais comme une intruse. Je pensais à ses parents, à ses amis, et me demandais si je devais leur faire revivre ce drame en parlant de cette jeune femme qui venait de mourir de façon aussi soudaine et tragique. Était-ce du sensationnalisme?

En haut de g. à dr. : Anne Marie D'Amico, Dorothy Sewell, Renuka Amarasingha, Munir Najjar, Chul Min (Eddie) Kang. En bas de g. à dr. : Mary Elizabeth (Betty) Forsyth, Sohe Chung, Andrea Bradden, Geraldine Brady et Ji Hun Kim.

En haut de g. à dr. : Anne Marie D'Amico, Dorothy Sewell, Renuka Amarasingha, Munir Najjar, Chul Min (Eddie) Kang. En bas de g. à dr. : Mary Elizabeth (Betty) Forsyth, Sohe Chung, Andrea Bradden, Geraldine Brady et Ji Hun Kim.

Photo : Radio-Canada

C’est ainsi que j’ai constaté que même le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes considère qu’une couverture médiatique qui porte sur les victimes est importante. Ces reportages permettent d’équilibrer la couverture, selon Heidi Illingworth, la directrice générale de l'organisme.

C’est une bonne chose que de pouvoir humaniser les victimes dans de telles tragédies au lieu de mettre l'accent sur l’auteur du crime.

Une citation de Heidi Illingworth, directrice générale, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes

Pour Christian Noël, reporter national pour Radio-Canada, qui a fait des demandes d’entrevues auprès des familles des victimes de l’attaque de la rue Yonge, ces reportages peuvent montrer « ce qui a été perdu » dans le drame, en allant plus loin que de simplement rapporter le nombre de victimes.

On veut donner un visage humain à la tragédie et célébrer, d’une certaine façon, la vie de ces personnes-là qui sont mortes dans un acte insensé.

Une citation de Christian Noël, reporter national à Toronto pour Radio-Canada
un homme sur une rue devant une caméra tenant un micro

Christian Noël, reporter national pour Radio-Canada en Ontario, en couverture à Strathroy en août 2016

Photo : Image partagée par Christian Noël

Ainsi, au lendemain de l’attaque, Christian Noël a rencontré Shanna, une commerçante de la rue Yonge qui a vu un habitué qu’elle venait de servir se faire happer par la fourgonnette. Elle lui a tenu la main jusqu’à son dernier souffle.

Comme journaliste, il faut être capable de les approcher avec du tact, du doigté, être capable d’essayer de ressentir le plus possible leurs émotions et de leur laisser la place.

Une citation de Christian Noël, reporter national à Toronto pour Radio-Canada

Bien sûr, ce genre d’entrevue ne se termine pas comme n’importe quelle autre entrevue. Prêt à quitter les lieux, Christian Noël a vite pris conscience du fait qu’il laissait derrière lui une femme ébranlée, probablement traumatisée, seule dans un commerce, seule avec ses émotions.

Il lui a mentionné que des psychologues dépêchés dans des écoles du quartier pouvaient lui venir en aide en cas de besoin.

Les proches devraient-ils parler aux médias?

Bien sûr, la décision de parler ou de ne pas parler aux médias revient aux familles, dit Heidi Illingsworth.

Une femme assise regarde la caméra.

Heidi Illingsworth, directrice générale du Centre canadien de ressources aux victimes de crime

Photo : Image partagée par Heidi Illingsworth

Elle souligne que les proches sont souvent traumatisés et ne sont, par conséquent, pas en état de répondre à des questions. Elle ajoute cependant que dans des circonstances comme celles de l’attaque de la rue Yonge à Toronto, elle recommanderait aux familles de rédiger une déclaration écrite pour répondre à l’intérêt des journalistes et du public.

Dix-sept ans plus tard, Maureen Basnicki croit que les reportages sur les victimes de tragédie sont d’intérêt public.

Mais elle donne ce conseil aux journalistes :

Mettez-vous dans leurs souliers. Soyez respectueux, ce que la plupart des journalistes sont déjà. Et comprenez bien qu'il est prématuré de recueillir l’histoire auprès de quelqu’un qui est aussi éprouvé.

Une citation de Maureen Basnicki, veuve de Ken Basnicki

Avec le temps, ajoute-t-elle, les reportages sur les victimes permettent aussi à leurs proches de leur rendre hommage et de remercier ceux qui leur sont venus en aide.

Un homme et sa mère vêtus de vêtements de course

Maureen Basnicki et son fils, Brennan, lors d'une course à New York à la mémoire des victimes des attentats du 11 septembre 2001 en avril 2017.

Photo : Image partagée par Maureen Basnicki

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