ArchivesDonald Lavoie et la naissance du Programme de protection des témoins
Téléjournal, 5 mars 1985
Photo : Radio-Canada
Dernièrement, le film québécois Crépuscule pour un tueur a remis au jour l’histoire de Donald Lavoie, un tueur à gages ayant sévi pour le clan Dubois au courant des années 1970. Donald Lavoie est devenu le premier témoin délateur à avoir reçu la protection de la police. Le Programme de protection des témoins a depuis fait l’objet de nombreux questionnements et critiques, comme en témoignent nos reportages d’archives.
Donald Lavoie, homme de main du clan Dubois
Le clan Dubois est issu d’une famille montréalaise composée de neuf frères et d’une sœur. Ils ont fait la loi dans le quartier Saint-Henri des années 1950 aux années 1980.
L’organisation criminelle, qui a déjà compté près de 200 membres, baignait dans plusieurs activités illicites : trafic de drogue, prostitution, prêts usuraires, trafic d’armes…
Durant les années 1970 à Montréal, le clan Dubois est la deuxième organisation criminelle en importance derrière la famille Cotroni qui dirige la mafia.
Donald Lavoie a été homme de main de la famille Dubois durant une dizaine d’années. Il demeure aujourd’hui l’un des plus grands tueurs à gages que le pays ait connus. Il a avoué avoir lui-même commis 15 meurtres et avoir été impliqué dans un total de 27 meurtres pour lesquels il a témoigné.
En 1982, alors que des membres du clan Dubois participent à une réception, Donald Lavoie capte une conversation et comprend que Claude Dubois, son patron, complote pour le faire assassiner. Il se cache alors dans la chute à linge d’un grand hôtel de la rue Sherbrooke à Montréal pour éviter ceux qui le pourchassent.
Il se tourne ensuite contre le clan Dubois et devient informateur pour les policiers qui, en retour, lui offrent leur protection. C’est pour Donald Lavoie que le Programme de protection des témoins voit le jour.
Le 11 mai 1983, à l’émission The Fifth Estate, CBC diffuse une entrevue avec le témoin repenti (Nouvelle fenêtre).
Si Donald Lavoie s’est lui-même incriminé dans 27 assassinats, il a permis aux policiers montréalais d’élucider 76 meurtres liés à la pègre montréalaise.
Depuis qu’il est devenu délateur, Lavoie est protégé 24 heures sur 24. Récemment, on lui a fourni une nouvelle identité. Il a changé d’apparence, s’est remarié et a même donné des cours à des policiers sur le comportement des truands.
L’utilisation de témoins délateurs est un moyen important pour infiltrer le milieu criminel, mais cette méthode d’enquête est remise en question par plusieurs experts, qui doutent de son efficacité.
Faire confiance à un témoin repenti pour lutter contre la criminalité
Le 5 mars 1985, l’émission Contrechamp animée par Anne-Marie Dussault présente elle aussi une entrevue avec Donald Lavoie. Le délateur apparaît désormais dans l’ombre, car son apparence physique a été changée pour sa protection.
Le journaliste Claude Gervais dévoile quelques extraits de cette entrevue dans un reportage où il s’intéresse aux témoins délateurs, un phénomène qui, à cette époque, prend de plus en plus d’ampleur.
Téléjournal, 5 mars 1985
Donald Lavoie est devenu délateur pour sauver sa vie, mais également par vengeance. L’ex-criminel affirme vivre sur du temps emprunté.
Dans le reportage de Claude Gervais, l’avocat torontois Edward Greenspan met en doute la crédibilité des délateurs pour des raisons morales.
Donald Lavoie ne sera jamais condamné pour les meurtres qu’il a commis. Il fera de la prison huit ans pour braquage de banque.
Ils ne sont pas crédibles et plus ils sont payés, plus ils mentent.
La Loi sur le programme de Protection des témoins voit le jour en 1996.
Quelque temps plus tard, le 21 juillet 1997, Le Point présente un reportage du journaliste Michel Sénécal qui remet en question l'utilisation des délateurs dans les causes criminelles.
Le Point, 21 juillet 1997
Dans ce reportage, le chroniqueur aux affaires judiciaires Claude Poirier parle du délateur Mike Blass, le frère de Richard Blass, un criminel notoire qui a longtemps fait la manchette des journaux.
Mike Blass a décidé de devenir délateur parce qu’une organisation criminelle avait mis des contrats sur sa tête. Aux dires du journaliste, ses témoignages n’ont pas servi la justice, car tous les gens contre qui il avait témoigné ont été acquittés
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A contrario, l’avocat André Vincent mentionne que durant les quatre ou cinq années précédant le reportage, le Programme de protection des témoins a permis d’obtenir plusieurs condamnations qui n’auraient pas été obtenues autrement.
L’avantage que l’on va donner à certaines personnes, c’est pour être en mesure de donner un plus grand avantage à la société et empêcher la répétition (de crimes) par des groupes structurés qui bénéficient de ce qu’on appelle la loi du silence.
En 2006, dans un jugement sans précédent, la Cour supérieure du Québec critique ouvertement la façon dont l'État gère la détention, mais surtout la libération des témoins repentis.
Le 22 décembre 2006, la journaliste Isabelle Richer présente un reportage sur cette question.
Téléjournal, 22 décembre 2006
Au début des années 2000, une cinquantaine de témoins auraient bénéficié de libérations hâtives au Québec.
Dans un jugement coup de poing, le juge Fraser Martin conclut que la gestion des remises en liberté des délateurs est un véritable fouillis.
Dans le reportage, le criminaliste Jacques Normandeau témoigne de remises en liberté où le niveau de dangerosité n’a pas été évalué. Il mentionne également que certains témoins repentis bénéficient de peu de soutien pour leur réhabilitation. Sans aide et sans encadrement, leur potentiel de récidive demeure élevé.
Après douze ans d’incarcération, où il a été en isolement, personne n’a levé le petit doigt pour essayer de l’aider, alors que lui, justement, il veut être correct.
En 2012, le gouvernement de Stephen Harper a revu et modernisé le Programme fédéral de protection des témoins pour accorder une plus longue protection aux témoins repentis.
La GRC qui gère le Programme de protection des témoins le considère comme un outil clé pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé
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Le Québec possède son propre Programme de protection des collaborateurs de la justice qui est administré par la Sûreté du Québec et le ministère de la Justice.