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Médias : la « victoire » de l’adoption de C-18 et le « pied de nez » de Meta

Un téléphone avec plusieurs applications de réseaux sociaux.

Le président de La Presse juge que Meta menace de bloquer les nouvelles canadiennes sur sa plateforme pour « intimider » les États-Unis et l'Europe.

Photo : Radio-Canada / Érik Chouinard

Au lendemain de l'annonce de l'adoption du projet de loi C-18 concernant les contenus journalistiques publiés sur les plateformes numériques, plusieurs responsables et observateurs de l'industrie ont salué cette « victoire » législative. Du même souffle, ils ont aussi vertement critiqué la décision de Meta, maison-mère de Facebook, de mettre à exécution sa menace de blocage des contenus des médias d'ici sur ses plateformes.

De passage à l'émission Tout un matin, sur les ondes d'ICI Première, le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, a ainsi reconnu que des ententes avaient déjà été conclues entre Facebook et plusieurs médias canadiens – notamment le Toronto Star ou encore Le Devoir , mais qu'il y avait encore loin de la coupe aux lèvres.

Le projet de loi C-18 est une victoire pour nous, parce que cela va forcer Google et Meta [la maison-mère de Facebook, NDLR] à négocier la "juste valeur marchande" des contenus journalistiques publiés sur leurs réseaux, a-t-il souligné.

Cela faisait des années que La Presse tentait de s'entendre avec les deux géants du numérique, a rappelé M. Levasseur. En vain.

Ce sont Google et Facebook qui décident, en ce moment, qui sont les gagnants et qui sont les perdants. Ce sont eux qui, unilatéralement, ont décidé qu'ils allaient conclure une entente avec Le Devoir, avec le groupe CN2i ou avec le Toronto Star, mais nous, à La Presse, on était en discussion avec certains joueurs, puis, tout d'un coup, ils ont décidé qu'ils mettaient fin aux discussions, sans aucune explication, a-t-il ajouté.

Bras de fer entre les géants du web et Ottawa

Consulter le dossier complet

Deux mains se touchent.

C'est le cas, également, pour beaucoup d'hebdos à travers le pays : ils n'ont pas d'entente. C'est Google et Facebook qui décident si oui ou non un média d'information aura une entente.

Avant la menace du projet de loi C-18, il n'y avait aucune entente au Canada.

Une citation de Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse

Toujours au dire de M. Levasseur, le contenu des ententes déjà conclues entre les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et les médias est confidentiel.

Des contenus bloqués d'ici quelques mois

Jeudi, après l'annonce de l'adoption du projet de loi C-18, Meta a annoncé que l'entreprise mettrait sa menace à exécution et bloquerait les contenus des médias canadiens sur sa plateforme.

À la suite de l'adoption d'un projet de loi, un délai de six mois est prévu avant son entrée en vigueur.

Interrogée à propos de son échéancier – une première déclaration indiquait uniquement que Meta bloquerait les contenus –, l'entreprise dirigée par Mark Zuckerberg a précisé que ce processus s'effectuerait sur une période de plusieurs mois.

Dans la foulée de la réaction de Facebook, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, s'est tourné vers Twitter pour affirmer que Facebook sait très bien qu’à l’heure actuelle ils n’ont aucune obligation en vertu de la loi. Suite à la sanction royale du projet de loi C-18, le gouvernement s'engagera dans un processus de réglementation et de mise en œuvre.

Un impact sur notre démocratie

Que se passera-t-il si Meta va bel et bien de l'avant et bloque les contenus des médias d'information d'ici? On va vivre avec ça, a lancé Pierre-Elliott Levasseur.

Mais le problème, dit-il, est que 30 % des Canadiens consultent des nouvelles via Facebook; ils consultent des médias crédibles, mais ils sont également exposés à des sources douteuses, voire carrément à de fausses nouvelles.

Pierre-Elliott Levasseur en conférence de presse.

Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse. (Photo d'archives)

Photo : The Canadian Press / Paul Chiasson

Quand Facebook annonce qu'il n'y aura plus d'informations produites par des journalistes professionnels dans des médias crédibles, ce qu'ils font, c'est ouvrir la porte toute grande aux sources douteuses, et à la désinformation. Pour moi, c'est totalement irresponsable. [...] Ce n'est pas une question de l'impact sur La Presse, c'est un impact sur notre démocratie, une attaque contre notre démocratie, a poursuivi M. Levasseur.

Et selon moi, la seule raison pour laquelle ils font cela, c'est pour éviter une réglementation similaire aux États-Unis, en Europe, ou ailleurs, a-t-il martelé.

Meta prendrait ainsi les Canadiens et les Canadiennes en otages, dans l'espoir d'intimider les gouvernements européens et américain.

Le président de La Presse espère, ultimement, que Meta va négocier de bonne foi; ils l'ont fait en Australie... Je ne pense pas que Meta remet en question la valeur de notre information; je crois que c'est une tactique plus large.

Chez Québecor, le président et chef de la direction, Pierre Karl Péladeau, a affirmé, dans un communiqué, que l'adoption de C-18 était un jalon essentiel pour les médias d'information qui se battent depuis plusieurs années pour que les géants du web payent leur juste part.

M. Péladeau a par ailleurs plaidé pour que les géants du web entament dès à présent des négociations de bonne foi afin de permettre aux médias d'information de continuer à offrir du contenu fiable et de qualité aux Canadiens et aux Canadiennes.

Il est déplorable, voire odieux, que Meta utilise sa position dominante pour bloquer l'accès à l'information des médias d'ici, prenant ainsi en otages les abonnés au Canada, a-t-il ajouté, en montant lui aussi aux barricades.

Un pied de nez à l'État canadien

La décision de Meta ne plaît pas non plus à Alain Saulnier, journaliste et ancien patron de l'information à Radio-Canada.

En entrevue à Midi Info, M. Saulnier a jugé que la menace de bloquer les contenus représente carrément un pied de nez à l'État canadien, quelque chose d'inacceptable.

On indique de cette manière-là qu’on est plus fort que l’État, plus fort que les lois, plus fort que le gouvernement, a encore affirmé M. Saulnier.

Alain Saulnier dans un studio radio.

Alain Saulnier fustige depuis des années ceux qu'ils qualifient de « barbares du numérique ».

Photo : Radio-Canada / Étienne Côté-Paluck

Pour ce dernier, la prise de position de Meta ressemble à s'y méprendre à une posture de négociation. Après tout, a-t-il rappelé, le réseau social avait agi de la même façon en Australie, lors de l'adoption d'une loi similaire à C-18. Et par la suite, des négociations avaient eu lieu entre l'entreprise et Canberra.

Si jamais aucun accord n'est conclu avec Ottawa, toutefois, et que Meta bloque bel et bien les contenus des médias canadiens, Alain Saulnier estime que cela aurait un impact énorme sur la démocratie d'ici, tout comme sur la qualité de l'information à laquelle les gens auront accès.

On sait très bien que les moins de 35 ans s’informent principalement par le truchement des réseaux sociaux, a-t-il rappelé. Comment, alors, permettre à cette partie de la population d'obtenir le regard le plus complet sur l'actualité si la principale source d'information bloque les médias professionnels?

Toute cette situation, a encore souligné M. Saulnier, découle du fait que les États, dont le Canada, ont pratiqué une politique du laisser-faire face aux plateformes numériques. Est-il encore possible de faire face à ces géants du numérique qui, de l'avis d'Alain Saulnier, s'opposent à toute réglementation?

Peut-être, peut-être qu'il n'est pas trop tard. Peut-être que les États devraient faire front commun pour affronter les géants du numérique. Il n'est pas trop tard, mais il faut agir, juge-t-il.

Le statu quo n'était plus tenable

À la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), on accueille chaleureusement, là aussi, l'adoption de C-18. Le statu quo n'était plus tenable, affirme ainsi le président de l'organisation, Michael Nguyen.

En une quinzaine d'années, les réseaux sociaux sont devenus un incontournable, lentement, mais sûrement.

Selon lui, Facebook a pris de la place, sans vraiment qu'on réalise à quel point.

Michaël Nguyen en entrevue virtuelle.

Le journaliste et président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Michaël Nguyen (Archives)

Photo : Radio-Canada

De fait, aujourd'hui, une bonne partie de la population canadienne s'informe sur Facebook, en y lisant les publications des médias.

À un moment donné, ils doivent reverser leur part. Il faut rappeler que les géants du numérique s'accaparent autour de 80 % des revenus publicitaires; c'est un montant qui quitte le Canada et qui ne revient pas, a encore mentionné M. Nguyen.

À l'opposé, le modèle traditionnel des médias consiste à utiliser les montants récoltés grâce à la publicité pour financer les salles de presse; maintenant, ce n'est plus possible, parce que Facebook est devenu un géant plus puissant que les États, à un point tel qu'ils pensent avoir la légitimité pour dicter à l'État comment gérer le pays, a déclaré le président de la FPJQ.

Les médias ont-ils creusé leur propre tombe en se tournant vers les réseaux sociaux pour y publier leurs contenus? Dit simplement : "oui, d'une certaine façon"; le parallèle que je fais, c'est avec les photographes qui se font offrir de la "job" en se faisant dire "hé, ça va payer en visibilité, donc on ne va pas te payer". Les médias se sont dit que c'était une façon de montrer leurs contenus, de se donner de la visibilité, a rappelé M. Nguyen.

Sauf qu'avec le temps, ce n'est plus une question de visibilité, c'est une question de revenus. Parce que Facebook s'est accaparé tous les revenus publicitaires qui permettent de créer de l'information. Nous en sommes à une situation où, oui, on est un peu coincés. Les médias sont en crise, ce n'est pas nouveau, mais le problème c'est que le modèle de Facebook, c'est un modèle d'émotion.

« La démocratie est fragile »

Le tout permet de tracer un parallèle avec une démocratie en santé, a encore jugé M. Nguyen. On a besoin d'être informés, sinon, quand on va voter, sur quoi on se base? Sur les porte-parole qui disent tout et n'importe quoi? Les journalistes effectuent de la vérification de faits, qu'il qualifie d'essentielle.

Dans cette équation, Facebook est un incontournable. Va-t-on se dire que ce n'est pas grave qu'une bonne partie de la population ne s'informe plus? Ces gens vont quand même aller voter! Ça va être selon celui qui gueule le plus fort, celui qui génère le plus d'émotions... [Celui-là] aura le plus de visibilité et finira par être vu par tout le monde. Et ce qui ne génère pas de chicane va tomber dans l'oubli de l'algorithme, a dénoncé le président de la FPJQ.

Il faut faire quelque chose, parce que nous avons vu que la démocratie est fragile [...] C'est pour ça que C-18 est essentiel.

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