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C-18, médias, Meta et Google : un bras de fer en quatre questions

Montage des logos de Facebook et de Meta.

Facebook dit avoir l'intention de bloquer les contenus d'information canadiens, en réponse à l'adoption du projet de loi C-18.

Photo : afp via getty images / LIONEL BONAVENTURE

Dans la foulée de l'adoption du projet de loi C-18, un flou persiste quant aux répercussions potentielles de la Loi sur les nouvelles en ligne sur la façon dont les Canadiens s'informent. Tour d'horizon d'un processus politique qui pourrait transformer le monde des médias dans l'univers numérique... pour le meilleur ou pour le pire.

Qu'est-ce que la Loi sur les nouvelles en ligne?

La Loi sur les nouvelles en ligne vise à forcer les « géants du web », nommément Google et Meta, maison mère de Facebook et propriétaire d'Instagram, à verser des redevances aux médias dont les contenus sont partagés sur leurs plateformes.

Le prix de ces redevances devra être négocié avec les médias. Si aucune entente n'est conclue, Ottawa pourra faire office d'arbitre.

Le projet de loi C-18 a reçu la sanction royale le 22 juin, mais n'entrera en vigueur qu'en décembre.

Bras de fer entre les géants du web et Ottawa

Consulter le dossier complet

Deux mains se touchent.

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau prend ainsi le parti des médias canadiens, qui sont aux prises depuis plusieurs années avec un grave problème de financement. Les revenus publicitaires ont en effet fondu comme neige au soleil avec la transition vers le web, et l'habitude de partager gratuitement du contenu en ligne a nui à la propension des internautes à payer pour s'informer.

Pire encore, de l'avis de l'industrie médiatique, Google et Facebook, qui sont devenus autant de portes d'entrée d'Internet en occupant une position dominante en ligne, accaparent la presque totalité des revenus publicitaires numériques. Selon plusieurs experts, pas moins de 80 % de ces revenus publicitaires tombent dans l'escarcelle des deux géants du numérique.

Cet argent, estime notamment Michaël Nguyen, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), n'est bien souvent pas réinvesti dans l'économie canadienne, et encore moins dans la production de contenus d'information par des médias locaux, puisque Google et Facebook paient peu d'impôts en fonctionnant à partir de l'étranger.

En déposant le projet de loi C-18, le Canada s'inspirait notamment de l'Australie, où une loi similaire a déjà été adoptée et a mené à l'entrée en vigueur d'un régime de redevances pour les médias australiens dont les contenus sont publiés sur les plateformes numériques.

Quelle est la position de Facebook et Google?

Chez les géants du web, on s'oppose vertement aux dispositions de C-18 et aux principes qui les sous-tendent. Facebook et Google affirment non seulement que leurs services ne sont pas particulièrement utilisés à des fins d'information par les internautes, mais que la présence de contenus médiatiques sur leurs plateformes permet en fait aux médias d'attirer des visiteurs et, par extension, d'engranger des revenus publicitaires.

En 2022, un responsable de Facebook, Marc Dinsdale, affirmait que les publications contenant des liens vers des articles de nouvelles représentent moins de 3 % de ce que les gens voient dans leur fil d’actualité Facebook, et les Canadiens nous disent vouloir voir moins de nouvelles et de contenu politique.

De plus, toujours selon ce porte-parole, la visibilité offerte par la plateforme équivaut à plus de 1,9 milliard de clics vers des pages web de médias, pour l'équivalent de 230 millions de dollars en marketing gratuit.

De l'avis de plusieurs spécialistes, dont Alain Saulnier, ancien grand patron de l'information à Radio-Canada, ces données sont impossibles à prouver.

Notons également que l'une des principales plateformes de publicité en ligne, AdSense, appartient à Google.

Pendant que le projet de loi C-18 progressait au Parlement, les deux entreprises ont laissé planer une menace importante : le blocage total des contenus médiatiques canadiens si Ottawa allait de l'avant et les obligeait à négocier des redevances avec les médias.

À plusieurs reprises, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a soutenu que le fédéral n'avait pas l'intention de céder aux menaces de Facebook et Google.

Dans le cadre de ce bras de fer, les deux géants du numérique ont tour à tour restreint l'accès aux contenus médiatiques pour une partie des internautes canadiens, soit entre 1 et 5 % de la population, sous le prétexte d'effectuer des « tests ».

Puis, le jour même où la Loi sur les nouvelles en ligne a reçu la sanction royale, le 22 juin dernier, Meta a sorti l'artillerie lourde : le réseau bloquera les contenus médiatiques canadiens sur Facebook et Instagram au cours des prochains mois. Selon une déclaration de l'entreprise, cette façon de faire consiste à se conformer aux dispositions du projet de loi.

Meta a ensuite annoncé qu'elle mettait fin à ses ententes avec La Presse canadienne et la Coopérative nationale de l’information indépendante, qui regroupe les quotidiens régionaux Le Soleil, Le Quotidien, La Tribune, La Voix de l’Est, Le Nouvelliste et Le Droit. Dans le cas de La Presse canadienne, Meta n'offrira plus de bourses de journalisme.

Le logo de Google sur un édifice.

Google, comme Facebook, occupe une position dominante sur le web et accapare une grande partie des revenus publicitaires.

Photo : afp via getty images / NOAH SEELAM

Le 29 juin, Google a emboîté le pas à Meta en affirmant qu'à l'entrée en vigueur de la loi, en décembre prochain, son moteur de recherche ne proposera plus de liens d'actualités, ce qui comprend les liens sur Google News et Google Discover, des fonctionnalités qui aident les gens à personnaliser ou à trouver des contenus en ligne. La société de technologie a aussi annoncé qu'elle sabrait la Vitrine Google Actualités au Canada, un programme de licence pour les actualités de plus de 150 médias locaux.

Quels sont les risques posés par un blocage?

De nombreux médias ont dénoncé l'attitude de Meta et Google, tout en soulignant l'importance de l'adoption de la nouvelle loi, considérée comme une victoire.

Le président du quotidien montréalais La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, estime que C-18 forcera Google et Facebook à négocier la juste valeur marchande des contenus journalistiques publiés sur leurs plateformes.

Le ministre Rodriguez, lui, a vivement critiqué Facebook et Google, en soulignant que l'adoption de C-18 ne représentait que le point de départ d'une période de six mois où Ottawa tiendra des consultations pour déterminer les modalités d'application de la loi. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) doit lui aussi recueillir les avis de spécialistes et du public à ce sujet.

Mais si la menace est réellement mise à exécution, de la part de Facebook comme de Google, plusieurs experts du milieu journalistique affirment que la vie démocratique canadienne en serait fortement bouleversée.

Pourquoi? Parce qu'environ une personne sur trois s'informe d'abord sur les réseaux sociaux et sur Google, une proportion qui est encore plus importante chez les 35 ans et moins. Sans sources d'informations fiables, estiment les spécialistes, la désinformation, les mensonges et les contenus haineux occuperont beaucoup plus d'espace en ligne.

Dans cette équation, Facebook est un incontournable. Va-t-on se dire que ce n'est pas grave qu'une bonne partie de la population ne s'informe plus? Ces gens vont quand même aller voter! Ça va être selon celui qui gueule le plus fort, celui qui génère le plus d'émotions..., estime ainsi le président de la FPJQ.

Et la suite?

Ottawa dispose donc de six mois, soit jusqu'en décembre, pour définir les principes d'application de la nouvelle loi. On ne sait pas si Facebook ou Google iront de l'avant avec leurs menaces d'ici là.

De fait, selon un article du National Post publié le 23 juin dernier, le gouvernement fédéral, Google et Facebook seraient en pleines négociations pour trouver un terrain d'entente.

Entre-temps, les contenus d'information canadiens demeurent accessibles sur les plateformes numériques pour la plupart des utilisateurs.

Si la menace de blocage de Meta et Google était mise à exécution, le ministre Rodriguez a évoqué un soutien aux salles de nouvelles pour qu'elles puissent continuer à faire leur travail.

Lors de l'adoption de la loi australienne, qui ne contenait pas de disposition imposant la négociation d'une entente entre les géants du numérique et les médias, les contenus médiatiques avaient bel et bien été bloqués par Facebook.

Ledit blocage a duré environ une semaine et a été levé à la suite d'une entente avec Canberra visant à amender le projet de loi qui visait les plateformes.

Pour Pierre-Elliott Levasseur, le président de La Presse, le torchon qui brûle entre Google et Facebook, d'un côté, et Ottawa, de l'autre, vise surtout à envoyer un message aux États plus importants, notamment les États-Unis et l'Union européenne, où l'on envisage aussi d'adopter des lois similaires.

Meta prendrait ainsi les Canadiens et les Canadiennes en otages, dans l'espoir d'intimider les gouvernements européens et américain, affirme-t-il.

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