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S’il maintient son blocage, Facebook pourra échapper à la nouvelle loi fédérale

Ottawa estime que les médias canadiens pourraient aller chercher 234 millions de dollars par année grâce à la Loi sur les nouvelles en ligne.

Le logo de Facebook sur un téléphone.

La Loi sur les nouvelles en ligne entrera en vigueur en décembre.

Photo : Reuters / Dado Ruvic

La Loi sur les nouvelles en ligne ne s'appliquera pour l'instant qu'à Facebook et à Google, et encore, seulement si les deux plateformes permettent le partage de contenus d'information produits au Canada, a indiqué Patrimoine canadien, vendredi matin, lors d’un breffage technique.

La décision de la maison mère de Facebook, Meta, de bloquer le partage de nouvelles canadiennes sur cette plateforme lui permettra donc d'échapper à la loi qui vise à forcer les géants du numérique à s'entendre avec les médias du Canada sur le versement de redevances pour l'utilisation de leur contenu.

Ottawa dévoilait le cadre réglementaire de la loi, issue du projet de loi C-18 adopté en juin, qui stipule qu'elle s’applique aux plateformes :

  • ayant un chiffre global d’affaires d’au moins un milliard de dollars canadiens au cours d’une année civile;
  • qui opèrent sur un marché de moteurs de recherche ou de médias sociaux distribuant et donnant accès à des contenus de nouvelles au Canada;
  • qui reçoivent 20 millions ou plus de visiteurs uniques mensuels moyens ou d'utilisateurs actifs mensuels moyens au Canada.

Pour l’instant, ces critères font en sorte que la loi ne s’appliquerait qu'à Facebook et au moteur de recherche de Google, selon les données mises à la disposition du gouvernement fédéral.

Bras de fer entre les géants du web et Ottawa

Consulter le dossier complet

Deux mains se touchent.

Instagram, une autre propriété de Meta, ne remplit pas ces critères pour l'instant.

Ainsi, selon la loi, si ces plateformes veulent partager des contenus de médias canadiens d’information, elles devront établir des ententes pour compenser ceux-ci. Ottawa estime que les médias du pays pourraient ainsi aller chercher 234 millions de dollars par année, soit 172 millions de Google et 62 millions de Meta.

Cependant, comme précisé durant le breffage technique, la loi ne se déclenche que pour les plateformes qui rendent accessibles des nouvelles aux Canadiens. Si une entreprise se retire complètement du marché canadien de l’information, comme Facebook le fait depuis le début du mois d’août, la loi ne s’applique pas.

Autrement dit, rien dans la loi n'impose aux entreprises de partager des contenus d'information avec les Canadiens.

Meta persiste et signe, Google examine la proposition

Meta, maison mère de Facebook, a rapidement réagi par écrit. Comme nous l'avons communiqué directement au gouvernement, le processus réglementaire n'est pas en mesure de répondre à la prémisse fondamentalement erronée au cœur de la Loi sur les nouvelles en ligne, peut-on lire. La législation est basée sur l’affirmation fausse voulant que Meta bénéficie injustement des contenus d’actualité partagés sur nos plateformes.

Les règlements proposés aujourd’hui n’auront aucun impact sur notre décision d'affaires de mettre fin à la disponibilité des informations au Canada.

Une citation de Meta, maison mère de Facebook

Si Facebook décide de se retirer du secteur des nouvelles, ce ne sera pas juste au Canada, parce qu’il y a d’autres juridictions à travers le monde qui avancent également avec toutes sortes de législations, a rétorqué par entrevue la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge. Partout dans les pays démocratiques, les médias sont en train de s’éteindre.

Au Canada, 500 médias ont fermé leurs portes au cours de la dernière décennie, selon la ministre. Nous, comme gouvernement, notre rôle, c'est d'établir des règles qui sont équitables et qui permettent à nos entreprises canadiennes de pouvoir continuer de faire ce qu'elles font, c'est-à-dire d'informer la population.

Va falloir que [Meta] soit honnête avec l’ensemble des gens et avec les Canadiens et dire : "Nous, ça ne nous intéresse pas, ce que vous voulez transmettre à vos amis et à votre famille, ça ne nous intéresse pas que vous ayez de l’information de qualité sur notre plateforme et on veut juste des vidéos de chats".

Une citation de Pascale St-Onge, ministre du Patrimoine canadien

Si Google met également en œuvre sa menace de ne plus partager de contenus de médias d’information canadiens, la loi ne s’appliquera à aucune plateforme, pour l’instant.

Nous examinons attentivement les règlements proposés pour déterminer s'ils résolvent les graves problèmes structurels du projet de la loi C-18, a pour l'instant répondu un porte-parole de Google par courriel, ajoutant que l'entreprise a l'intention de demeurer transparente avec les Canadiens quant à sa réponse à cette loi.

À noter que Patrimoine canadien entre dans un processus de consultations de 30 jours qui pourrait mener à des modifications de la loi avant son entrée en vigueur, le 19 décembre prochain.

Meta a cependant confirmé vendredi après-midi qu'elle n'avait pas l'intention d'y participer.

Le processus actuel de consultations vise notamment à établir si d’autres plateformes sont concernées par les critères instaurés par Ottawa. Le gouvernement fédéral donne 30 jours civils aux entreprises concernées pour signaler au CRTC qu’elles remplissent les critères.

Il y a un trou dans la loi

Pour le professeur à l'École des médias de l'UQAM Jean-Hugues Roy, ce qui se passe est la preuve qu'il y a un trou dans la loi. Meta s’y est engouffré et aujourd’hui, on a bien vu qu’il n’y a pas de moyen de boucher ce trou.

Il est donc peut-être temps, estime-t-il, de retourner sur la table à dessin et d'imaginer un autre mécanisme législatif, comme la création d'un fonds commun dont le partage du montant serait géré par Ottawa.

Les deux plateformes ont dit qu’elles étaient prêtes à verser de l’argent dans un fonds. Aujourd’hui, le gouvernement canadien leur a dit le montant qu'il attend des deux plateformes. Alors, pourquoi les deux ne disent-elles pas : "Nous allons verser ce 230 millions $ dans un fonds, ne nous demandez pas de négocier, on ne veut pas négocier avec les médias"?

La concentration de la majorité des médias aux mains d'un seul propriétaire aurait d'ailleurs influencé la décision de Meta et de Google de se plier à la loi australienne adoptée en février 2021. News Corp, de Rupert Murdoch, est effectivement propriétaire des deux tiers des journaux australiens. Les géants du web ont ainsi eu à négocier avec peu d'entreprises médiatiques.

Qu'en est-il des petits médias?

En entrevue à Radio-Canada, Christopher Curtis, journaliste indépendant et cofondateur du média alternatif The Rover, estime que la loi, telle qu’elle a été conçue, désavantage les petits médias qui sont appelés à négocier avec Meta et Google. On n’est vraiment pas sur un pied d’égalité avec eux.

Critique à l’égard des géants du web et des grands médias, il estime que l’on se soucie peu du sort des petits joueurs.

En ce moment, c’est un gros show. On veut faire un exemple du Canada, et le Canada joue un peu la politique avec Meta. Ça marche pour les deux.

Une citation de Christopher Curtis, journaliste indépendant et cofondateur du média alternatif The Rover

Il rappelle que les grandes entreprises médiatiques étaient en crise bien avant l’arrivée de Facebook. On a un produit qui pogne de moins en moins avec le public, constate-t-il.

Il affirme également ressentir un malaise quant à l'utilisation des revenus que pourrait générer cette loi.

Ça me rend inconfortable de penser que tout cet argent-là irait à des compagnies qui sont soit au bord de la faillite ou qui ont besoin du gouvernement pour les garder en vie. [Ces mêmes entreprises] sont encore en train de mettre des centaines de journalistes à la porte chaque année.

Une citation de Christopher Curtis, journaliste indépendant et cofondateur du média alternatif The Rover

Il estime que le gouvernement ne connaît pas la réalité du journalisme et c’est ce qui explique, selon lui, que l’on en soit à une quatrième ministre s'occupant de ce dossier.

Quels critères pour la compensation?

Si Facebook et Google acceptent de dédommager les médias pour le partage de nouvelles à leurs abonnés canadiens sur leur plateforme, elles devront respecter certains critères.

Tout d’abord, la compensation devra s'élever au moins à ce que le gouvernement estime être 4 % de leurs revenus canadiens.

Ensuite, Ottawa calculera pour chaque entente un ratio entre la contribution de la plateforme et le montant représentant tous les salaires des journalistes à temps plein du média. Le gouvernement établira une moyenne de toutes ces ententes. Chaque entente devra être dans une fourchette de 20 % de cette moyenne, afin d’assurer une certaine équité pour tous les médias canadiens.

Les ententes peuvent inclure des compensations non financières, mais la valeur associée à celles-ci devra être établie.

Les ententes doivent inclure les collectifs d’entreprises de nouvelles locales indépendantes, autochtones et des communautés de langue officielle en situation minoritaire d’une certaine taille. Elles doivent également respecter l'indépendance journalistique et le processus éditorial des médias.

Si les plateformes continuent de permettre le partage de contenus de médias canadiens sans entente raisonnable, Ottawa devra entamer un processus d'arbitrage, a souligné la ministre St-Onge.

Avec des informations de Louis Blouin

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