•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Être un média gratuit pour la survie du journalisme

Norine Dworkin pointe l'endroit limité pour les journalistes au conseil municipal de Winter Garden.

Norine Dworkin a lancé son média d'information hyperlocale pour éviter que sa région ne devienne un désert de nouvelles.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

À la veille de l’entrée en vigueur de la loi C-18 visant à forcer les « géants du web » à indemniser les médias d'information pour le partage de leurs articles et reportages, certaines salles de nouvelles, dorénavant bannies des plateformes de Meta, explorent d’autres moyens de survie. La solution passe-t-elle par des médias d’information sans but lucratif?

Au deuxième étage de sa résidence de Winter Garden, à 20 minutes de route à l’ouest d’Orlando, dans l'État de la Floride, Norine Dworkin s’apprête à lancer une visioconférence Zoom avec ses jeunes apprenties journalistes de l’Université de Floride centrale. Une salle de nouvelles virtuelle, puisqu’elle gère son site d’information locale appelé Vox Populi depuis son bureau avec son ordinateur portable et son cellulaire.

Après une carrière de 30 ans dans le monde de l’édition et du journalisme, elle a fondé en 2021 son site qui couvre sa municipalité. J'ai réalisé que, dans ce coin du comté de West Orange, nous n'avions pas de médias qui faisaient de la vraie nouvelle. Il y avait beaucoup de sites ou de publications qui vous indiquaient où aller manger et les choses amusantes à faire, mais personne ne couvrait ce qui se passait au gouvernement local.

Ce matin, elle distribue les sujets et articles à écrire sur les prochaines élections locales aux jeunes apprenties qui l’aident à fournir du contenu pour son site en échange de crédits universitaires pour leurs cours.

La salle de nouvelles de Vox Populi est surtout virtuelle grâce à des visioconférences avec des jeunes journalistes à distance.

La salle de nouvelles de Vox Populi est surtout virtuelle grâce à des visioconférences avec des jeunes journalistes à distance.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Un échange de bons procédés qui permet de rendre l’accès à son site de nouvelles gratuit, parce que son entreprise est à but non lucratif. Je considère le journalisme comme un service public. On ne devient pas riche en faisant ça. Mais notre contenu est gratuit parce que les gens ont besoin de savoir.

Ses articles concernent surtout le conseil municipal sur lequel elle a déjà sorti des nouvelles en primeur. Sa cible est le maire de Winter Garden qui, entre autres, manœuvre pour faire expulser un conseiller municipal parce qu’il aurait présumément violé la charte de la ville. Un comble selon elle, puisque le maire ne respecte pas lui-même les règlements de la charte, notamment parce qu'il n'a jamais prononcé de discours sur l'état de la municipalité depuis son élection. J'ai consulté la charte et le maire l'a violée en toute impunité pendant 13 ans. J'ai révélé cette histoire et personne d'autre n'en parle.

L’information battue en brèche

Évidemment, elle ne se fait pas beaucoup d’amis à l’hôtel de ville : Winter Garden a adopté une résolution qui interdit aux journalistes de poser des questions aux élus lors des réunions de la commission municipale, en grande partie à cause de mon travail.

Ainsi, en cette soirée de conseil municipal, elle va patiemment attendre, seule dans la petite rangée réservée à la presse – malgré l’interdiction – de poser sa question pendant les commentaires du public.

Reconnaissez-vous avoir violé la charte de la ville, demande d'emblée Norine Dworkin à John Rees, le premier conseiller municipal de Winter Garden. Celui-ci lève les yeux au ciel et refuse de répondre sur, ce que qualifie Norine Dworkin, de mépris des règles municipales. Votre temps de parole est terminé, lance-t-il une fois les trois minutes permises écoulées.

Ordre du jour de la réunion du conseil de ville.

Le site d'information hyperlocale Vox Populi concentre ses efforts sur la couverture municipale de la municipalité de Winter Garden, dans l'État de la Floride.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

Avec son style sans peur et sans reproche, la propriétaire de Vox Populi a créé un média d’information hyperlocal qui permet d'offrir de la nouvelle aux résidents du coin. Ce média fait ce que ne peuvent plus faire certaines salles de nouvelles, parce qu’elles sont aux prises avec des compressions de personnel dues en grande partie à la baisse des revenus publicitaires ou parce qu’elles ont été rachetées par des gestionnaires de fonds spéculatifs qui ont tellement taillé dans les dépenses qu’il n’y a plus de moyens pour couvrir l’actualité.

Un triste état des lieux

Sarah Stonbely, directrice du projet State of Local News, une organisation qui opère dans l’école de journalisme à l'Université Northwest dans l'Illinois, a publié un rapport sur l’état du journalisme local aux États-Unis. Selon ses données, la perte de publications d’informations locales s'est accélérée en 2023 pour atteindre une moyenne de 2,5 journaux en moins par semaine, laissant plus de 200 comtés américains appelés déserts d'information.

Depuis 2005, 875 des 2900 journaux qui ont été définitivement fermés se trouvaient dans ces petits comtés. Aujourd'hui, 195 de ces comtés, pour la plupart ruraux, n'ont ni journal local ni aucune autre source d'information locale. Dans 1387 autres comtés, il n'y a qu'une seule source d'information locale, soit un hebdomadaire ou un petit quotidien.

Une citation de Rapport du projet State Local News

La perte de la publicité locale imprimée au profit de plateformes numériques telles que Google et Facebook a touché les organes de presse des villes et des zones rurales plus tardivement que les grands journaux métropolitains. Elle s'est accélérée pendant la pandémie et a entraîné de nombreuses fermetures de journaux ou de fusions, conduisant au bout du compte à des réductions de personnel et de qualité de la couverture.

Cela constitue, selon Sarah Stonbely, une crise pour la démocratie. Les gens n'ont pas les informations dont ils ont besoin pour être des citoyens engagés, pour être des consommateurs éduqués des soins de santé locaux, des systèmes scolaires. Par ailleurs, moins de personnes se présentent aux élections et la participation électorale est plus faible.

Des personnes travaillent à leur bureau.

Le modèle d'affaires des salles de nouvelles est en perpétuelle évolution depuis le pouvoir exercé par les plateformes de réseaux sociaux.

Photo : Getty Images / Evening Standard

Vivre de dons

Pour survivre, Norine Dworkin a réussi à obtenir quelques bourses et coups de pouce, mais elle doit surtout faire appel à ses donateurs, soit ceux qui lisent ses articles. Ce qui n’est pas toujours facile. Je sais comment produire des informations, mais je ne sais pas comment vendre des publicités. Et quand vous faites tout cela tout seul, vous savez, chaque jour où vous ne produisez pas de contenu est un jour où le site web est statique. Et chaque jour où vous ne collectez pas de fonds est un jour où vous ne rapportez pas d'argent. Il en va de même pour la publicité.

Parmi ses généreuses donatrices, il y a Michelle Chapman, qui a décidé de délier les cordons de sa bourse après que Vox Populi eut écrit des articles sur des règlements qui touchaient les propriétaires de chiens. Elle va d’ailleurs envoyer 500 $ à Norine Dworkin pour qu’elle continue son travail de journaliste.

Shasta Quinn, qui est bibliothécaire à Winter Garden, soutient aussi ce média.

Les journalistes doivent être payés, il faut bien que quelqu'un paie quelque part. Je me sens bien de la soutenir parce qu'elle est hyperlocale et qu'elle fait des reportages non seulement sur des choses qui m'intéressent, mais aussi sur des choses auxquelles je devrais prêter attention, comme les élections locales. Que se passe-t-il aujourd'hui avec le conseil municipal? Quelles sont leurs manigances?

Une citation de Shasta Quinn, bibliothécaire et donatrice

Le règne des réseaux sociaux

Norine Dworkin peut compter sur ses quelques centaines d’abonnés pour continuer de faire grandir son lectorat total qui est bien sûr plus nombreux que ses généreux contributeurs. Elle utilise aussi les médias sociaux pour mettre en valeur ses articles, mais selon les données analytiques de son site, elle obtient beaucoup de visiteurs grâce à son bon référencement sur les moteurs de recherche, ce qui est très gratifiant pour elle.

Logo de Facebook sur un téléphone.

Certains sites d'information locale comptent moins sur l'impact des réseaux sociaux pour diffuser leurs articles.

Photo : Getty Images / AFP / CHRIS DELMAS

L’autrice du rapport sur l’état des nouvelles locales aux États-Unis, Sarah Stonbely, estime cependant que bien des médias doivent leur survie aux réseaux sociaux, mais que ceux-ci devraient être plus généreux pour les producteurs de contenus d’information. Ce n'est pas tant qu'ils doivent payer pour ces choses, mais ils doivent leur permettre d'avoir des revenus publicitaires.

D'ailleurs, elle maintient que des médias locaux comme Vox Populi montrent une nouvelle voie pour l’avenir du journalisme.

Je crois qu'il y aura toujours des gens qui voudront être journalistes, qui voudront être, vous savez, des sortes de chroniqueurs du pouvoir et qui auront ce genre de mission dans le corps. Il s'agit donc de trouver, je pense, ce qui va fonctionner. Aucune de ces entreprises n'a besoin d'être des entreprises de plusieurs millions de dollars, mais elles doivent être durables.

De son côté, Norine Dworkin espère que son site perdurera parce que son modèle d’affaires est exigeant. Elle est consciente que ce n’est pas tout le monde qui peut financièrement lancer son propre site de nouvelles, mais elle croit fondamentalement à l’avenir d’un journalisme d’investigation.

Couverture du média Vox Populi.

Le site d'informations locales Vox Populi offre du journalisme d'investigation gratuitement dans la région d'Orlando en Floride.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould

J'ai travaillé pendant trois ans pour établir cette marque dans ce coin du comté. Mais il n'y aura pas d'autre site, si le mien ne marche pas bien. Il faut une certaine dose d'intrépidité et de férocité pour notamment pouvoir se présenter devant un conseil municipal et exiger des réponses.

Au bout du compte, Nora Dworkin aura réussi à convaincre deux donateurs et à engranger quelques centaines de dollars. Prochainement, avec un peu de chance, elle devrait également obtenir le soutien financier d'un commanditaire. De quoi insuffler un peu de financement pour poursuivre sa quête d'information et éviter que sa ville devienne un autre désert de nouvelles.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Info nationale

Nouvelles, analyses, reportages : deux fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Info nationale.