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Gaza : une génération de jeunes journalistes risque sa vie sur le front de l’information

L'organisme Canadian Journalists for Free Expression s'inquiète pour les journalistes palestiniens sur le terrain et réclame des enquêtes indépendantes.

Il est debout sur une plage devant la Méditerranée.

Le photoreporter Motaz Azaiza.

Photo : Instagram/motaz_azaiza

« Sans précédent », c'est ainsi que Michelle Shepard, journaliste au Toronto Star et coprésidente de l'organisme Canadian Journalists for Free Expression, qualifie le lourd tribut payé par ses consœurs et confrères à Gaza. « On n'en parle pas autant qu'on pense qu'on devrait le faire », résume-t-elle en parlant au nom de son organisation.

Selon le décompte actualisé quotidiennement du Comité pour la protection des journalistes, 83 reporters ont déjà perdu la vie depuis le début de la contre-offensive israélienne dans la bande de Gaza. Parmi eux, 76 étaient palestiniens.

La profession est en première ligne depuis le jour 1 de l'intervention militaire israélienne. La bande de Gaza est coupée du monde, et les journalistes palestiniens en sont maintenant les yeux et les oreilles.

Israël n'autorise pas les médias indépendants à entrer dans la bande de Gaza, et ce sont les journalistes palestiniens qui assurent l'essentiel de la couverture. Leur travail est vital, car ils sont la seule fenêtre sur ce qui se passe sur le terrain, explique Michelle Shepard.

Les rédactions internationales n'ont d'autre choix que de s'appuyer sur les journalistes sur place, et nombreux sont les jeunes reporters qui se retrouvent propulsés sur le front de l'information.

Proche-Orient, l’éternel conflit

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Un panache de fumée s'élève à la suite d'une frappe aérienne israélienne, dans la ville de Gaza, le samedi 7 octobre 2023.

Propulsés sur le front de l'information

À 22 ans, avec un diplôme de journalisme en poche, Plestia Alaqad voulait voir ce que la vie avait à lui offrir avant de prendre une décision concernant sa carrière, mais ce funeste 7 octobre en a décidé autrement.

Dès les premières heures du conflit, elle documente son quotidien et publie sur ses réseaux sociaux de courtes vidéos d’elle et de sa famille.

Dans l’une de ces vidéos, au moment où la jeune femme s’adresse à la caméra, un missile souffle un bâtiment à proximité. Pendant quelques secondes, plus aucun mot ne sort de sa bouche, mais ses yeux en disent assez. La vidéo devient virale et des médias du monde entier contactent Plestia Alaqad pour lui proposer des collaborations.

La sidération passée, la jeune femme enfile casque et autres protections pour couvrir ce que, dès les premiers jours, des rapporteurs des Nations unies qualifient de génocide en cours (Nouvelle fenêtre).

De la beauté de Gaza à l'horreur

Elle qui se tenait loin des conflits, et voulait montrer la beauté de Gaza, plonge dans l’horreur. Rien ne l’avait préparée à ce qu’elle allait vivre : On marchait dans la rue et j’ai demandé à mon caméraman quelle était cette mauvaise odeur. Il m’a dit que c’était l’odeur des cadavres sous les décombres.

Je ne savais pas à quoi ressemblait l’odeur d’un cadavre. Comment pouvais-je le savoir?

Une citation de Plestia Alaqad, journaliste palestinienne

Comme elle, d'autres jeunes journalistes entreprennent leur carrière dans les pires circonstances, aussi bien dans les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux, où ils sont suivis par des millions de personnes partout dans le monde.

Alors qu’avant, ils étaient cantonnés à un rôle de fixeur, chargé de trouver des interlocuteurs, faire les traductions sans recevoir ni crédit ni reconnaissance, ils incarnent dorénavant l’information. Ça marque un changement profond, explique Jodie Ginsberg, présidente du Comité pour la protection des journalistes.

Anglophones, maîtrisant les codes des réseaux sociaux, ils ont réussi à tourner les projecteurs du monde sur une zone mise sous cloche, et à donner une voix et un visage à une population souvent réduite à des chiffres.

Suivi par des millions d'abonnés partout dans le monde

Plus de quatre millions de personnes suivent et regardent les vidéos dont la candeur tranche avec l'horreur du quotidien, et où d’Alaqad se filme avec des enfants, ou caressant une tortue qu’une Gazaouie a pris soin de prendre avec elle, et qu’elle a nommée Plestia. C'est triste que nous soyons en 2024 et que nous fassions tous ces efforts juste parce que nous voulons que le monde nous voie comme des humains, se désole la jeune femme.

Bisan Owda, une autre jeune journaliste, âgée de 25 ans, raconte le quotidien dans les camps qui s’improvisent au gré des offensives de l’armée israélienne. Plus de trois millions de personnes suivent ses vidéos, qui débutent toujours avec le même message : Je suis Bisan et nous sommes encore en vie.

Sans électricité, et avec une connexion Internet fonctionnant uniquement grâce au eSIM, le travail au quotidien s’apparente à une mission impossible. Le risque est constant et la profession a payé un lourd tribut.

Le photoreporter Motaz Azaiza s’était adressé, dans une oraison funèbre anticipée, à ses 18 millions d’abonnés : Maintenant se termine l’étape où je risque ma vie pour vous informer et débute l’étape où j’essaie de survivre.

Il y a quelques jours, il a annoncé devoir quitter la bande de Gaza : C'est la dernière fois que vous me verrez avec ce gilet lourd et puant, a-t-il expliqué, visiblement ému, en dégrafant son gilet bleu portant la mention Press.

C'est le conflit le plus meurtrier pour les journalistes que le Comité ait jamais documenté depuis plus de 30 ans.

Une citation de Jodie Ginsberg, présidente du Comité pour la protection des journalistes

La mort n'épargne pas les journalistes gazaouis, pas plus que le reste de la population.

Parmi les derniers noms inscrits sur la liste des victimes, Hamza Dahdouh et Mustafa Thuraya, morts lors d’une frappe aérienne de l’armée israélienne.

Le premier n’est autre que le fils du chef du bureau d’Al Jazeera à Gaza, Wael Dahdouh, dont l’histoire tragique récente résume la situation vécue par ses compatriotes.

Le journaliste Wael Dahdouh tient la main de son fils Hamza, tué lors d'une frappe aérienne israélienne.

Le journaliste Wael Dahdouh tient la main de son fils Hamza, tué lors d'une frappe aérienne israélienne.

Photo : AP / Hatem Ali

Avant Hamza, 27 ans, Wael a enterré sa femme, deux enfants et un petit-fils, morts lors de bombardements, puis son caméraman, Samer Abou Daqqa, victime d’un autre bombardement dont lui est miraculeusement sorti indemne. Quelques heures plus tard, Wael Dahdouh était de nouveau en poste, en direct et avec des bandages.

Suspicions de frappes ciblées sur les journalistes

Des organisations de défense des journalistes n’excluent pas la possibilité de frappes ciblées de la part de l’armée israélienne.

Reporters sans frontières a déposé deux plaintes devant la Cour pénale internationale.

Et dans la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice, tout un volet est consacré aux journalistes. C’est important et essentiel que des gouvernements demandent ce type d’enquête, explique Michelle Shephard. La coprésidente de Canadian Journalists for Free Expression se dit préoccupée et demande à ce qu’au moins, des enquêtes soient menées pour savoir si les journalistes sont ciblés ou non.

À la minute où le cessez-le-feu débutera, que les bombes s’arrêteront, c’est là que la guerre va commencer. C’est là que les gens vont réaliser ce qu’ils ont perdu, qu’ils vont se demander : "Où sont mes parents? Où est la maison où j’ai grandi?"

Une citation de Plestia Alaqad, journaliste palestinienne

En décembre, CNN rapportait en exclusivité (Nouvelle fenêtre) les conclusions des services d'espionnage américains, selon lesquels près de la moitié des bombes larguées par Israël étaient des dumb bombs, des bombes aveugles.

Depuis quelques semaines, Plestia Alaqad a trouvé refuge avec sa famille en Australie, où vit un de ses oncles. Elle continue de suivre de près la situation à Gaza et n’arrive pas à décrocher. Quand on lui demande comment elle se sent, elle répond qu’elle ne sait pas : Ils ne nous laissent pas l’espace pour nos émotions, les bombardements sont 24 sur 7, c’est un privilège de savoir comment on se sent.

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