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AnalyseTrans Mountain : la tache (d’huile) sur le bilan du gouvernement Trudeau

Le pétrole coulera bientôt à flots dans le pipeline Trans Mountain tout neuf. Six ans après avoir été acheté par Ottawa, l’oléoduc demeure le symbole le plus frappant des paradoxes environnementaux du gouvernement Trudeau. Sa mise en exploitation imminente pose de nouveaux risques politiques pour les libéraux.

Des tuyaux sur un chantier de Trans Mountain à Edson, en Alberta.

Le pipeline Trans Mountain doit être mis en service mercredi. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Terry Reith

La contradiction, à quelques heures d’écart, ne pouvait pas être plus frappante.

Le 17 juin 2019, les libéraux avaient fait adopter une motion sur l'urgence climatique nationale, reconnaissant que les changements climatiques constituent une crise réelle et urgente, causée par l'activité humaine.

Moins de 24 heures plus tard, ils donnaient le feu vert au projet d’expansion du pipeline Trans Mountain.

La dissonance n’avait pas échappé à la militante écologiste Greta Thunberg. Une seconde, ils déclarent l'urgence climatique, et la seconde d’après, ils disent oui à l’expansion d’un pipeline. C’est honteux, avait-elle écrit, faisant voler en éclat le vernis environnementaliste du gouvernement libéral.

Greta Thunberg et Justin Trudeau sont assis et discutent.

Greta Thunberg et Justin Trudeau ont discuté pendant une quinzaine de minutes lors de la visite de cette activiste au Canada. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz

Justin Trudeau se targue d’être le premier à avoir mis en avant un plan concret pour atteindre les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada. Les libéraux ont signé l’accord de Paris, imposé une tarification sur le carbone, relevé la barre des évaluations environnementales et subventionné les technologies vertes à coups de milliards.

L’achat de l’oléoduc apparaît comme une grosse tache (d’huile) sur leur bilan environnemental.

Il n'y a pas que Greta Thunberg qui leur a mis cette contradiction sous le nez. Les électeurs plus progressistes l’ont fait eux aussi. Cette question a donné beaucoup de fil à retordre aux libéraux lors de la campagne électorale de 2019, à l’issue de laquelle ils ont perdu leur majorité aux Communes.

À l’approche de la mise en exploitation du pipeline, mercredi, les troupes de Justin Trudeau font face à de nouveaux risques politiques liés à l’oléoduc. La tache d’huile pourrait s’étendre.

Vente à rabais

L’expansion de l’oléoduc acheté par Ottawa en 2018 auprès de la société texane Kinder Morgan permet de tripler la capacité existante à 890 000 barils par jour sur un tracé de 1150 kilomètres entre Edmonton à Burnaby, près de Vancouver.

Carte du projet d'expansion du pipeline Trans Mountain.

Carte du projet d'expansion du pipeline Trans Mountain de l’Office national de l’énergie.

Photo : Office national de l'énergie

Lorsque les libéraux ont acheté l’oléoduc, le projet d’agrandissement était dans un cul-de-sac et l’animosité entre l’Alberta et la Colombie-Britannique avait atteint un sommet.

Le projet avait pour objectif de trouver de nouveaux marchés pour le pétrole canadien afin que les compagnies puissent obtenir un meilleur prix pour leur ressource.

Toutefois, en attendant, ce sont les contribuables canadiens qui ont épongé la facture.

Au fil des ans, les coûts liés à l’agrandissement de l’oléoduc se sont multipliés, passant d’une facture initiale de 7,4 milliards à plus de 34 milliards de dollars, si bien qu'il apparaît évident aux yeux de plusieurs experts que le gouvernement – qui a toujours assuré qu’il voulait vendre le pipeline au terme de l’agrandissement – devra vendre son oléoduc à rabais.

Selon le politologue Frédéric Boily, la question consiste avant tout à savoir quelle sera l’ampleur de la perte encaissée. Si c'est trop important, ça va permettre aux conservateurs – tout en étant contents de voir le pipeline en service – de critiquer quand même le gouvernement pour sa mauvaise gestion.

Si le gouvernement fédéral devait encaisser des pertes de plusieurs milliards de dollars avant les prochaines élections, cela renforcerait la trame narrative mise en avant par leurs adversaires conservateurs, selon laquelle les libéraux gaspillent l’argent public.

Risques pour l’environnement

Le secteur de l’exploitation pétrolière et gazière demeure aujourd’hui la plus grosse source d’émissions de GES au Canada. En 2021, 28 % des émissions de GES produites au pays provenaient de ce secteur, loin devant le transport (22 %). Depuis 1990, la production de pétrole brut a plus que doublé au Canada.

Et la croissance continue. La production de pétrole en Alberta fracasse des records, atteignant 3,95 millions de barils par jour.

Il est difficile d’évaluer précisément quel sera l’effet de la mise en exploitation du pipeline sur la production, mais elle pourrait donner un élan supplémentaire à une industrie déjà florissante. Au moment de déposer son budget, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a d’ailleurs signalé que la Banque du Canada estime que ce projet permettra d’ajouter 0,25 % à notre PIB dans le deuxième trimestre.

Justin Trudeau, Catherine McKenna, Bill Morneau, Amarjeet Sohi, Marc Garneau et Jonathan Wilkinson.

Sur cette photo qui date de 2019, Justin Trudeau ainsi que les ministres Catherine McKenna, Bill Morneau, Amarjeet Sohi, Marc Garneau et Jonathan Wilkinson annoncent qu'ils approuvent de nouveau l'expansion de Trans Mountain. (Photo d'archives)

Photo : The Canadian Press / Sean Kilpatrick

Or, en décembre, le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, a annoncé un plafonnement des émissions du secteur, qui devrait entrer en vigueur en 2026. Comment la hausse marquée de la production à laquelle nous assistons pourra-t-elle s’arrimer avec le plafond des émissions? Mystère.

Par ailleurs, le risque d’un déversement de pétrole – que ce soit le long du tracé ou s’il est acheminé par bateau après son transport dans l’oléoduc – n’est jamais nul. Si une catastrophe devait se produire, la réputation des libéraux fédéraux ne pourrait pas en sortir indemne.

Rien à gagner

Au moment de l’approbation finale du projet en 2019, le chef conservateur d’alors, Andrew Scheer, y était allé d’une prédiction.

Si Justin Trudeau est réélu le 7 octobre [2019], je suis sûr que ce sera la fin du projet Trans Mountain. Il va trouver une excuse pour annuler, pour bloquer ce projet, avait-il lancé en point de presse.

Un homme âgé tient un globe terrestre avec le visage de Justin Trudeau couvert en partie de pétrole noir. Des manifestants sont à l'arrière-plan devant un centre-ville.

Plusieurs manifestations contre le pipeline Trans Mountain ont eu lieu ces derniers mois en Colombie-Britannique. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Darryl Dyck

Sa prémonition s’est révélée fausse. Les libéraux ont bel et bien été réélus et ils ont complété le projet, même si cela a été plus long et plus coûteux que prévu. Cela a même valu un merci poli de la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, à Justin Trudeau le mois dernier.

Les libéraux seraient toutefois bien mal avisés de remettre cela sous le nez des conservateurs.

Je n'ai pas l’impression qu’ils pourraient se vanter d’avoir mené ce projet à bien. Oui, on va le dire, mais en faire un enjeu électoral serait beaucoup plus risqué, avance Frédéric Boily.

De crainte de se mettre à dos son électorat naturel plus progressiste, Justin Trudeau pourra difficilement tenter de marquer des points en Alberta en prenant le crédit pour la construction de l'oléoduc.

L’ironie du sort, c'est que le grand paradoxe du gouvernement Trudeau ne lui aura permis de marquer des points ni à gauche ni à droite.

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