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Les balados de sport, une affaire de sportifs… et de sportifs en affaires

Cinq hommes regardent la caméra en sourient, l'un d'eux derrière un micro.

De gauche à droite : LeBron James, Maxim Lapierre, Peyton Manning, Pat McAfee et Tom Brady

Photo : Getty Images

Avec l’explosion de contenus audios et vidéos produits par et avec des joueurs, qu'ils soient toujours actifs ou retraités, le sport a-t-il encore besoin des journalistes?

Tom Brady s’est engagé pour plusieurs années à animer Let’s go!, un balado populaire sur le football de la NFL.

Les frères Jason et Travis Kelce attirent 2 millions d’auditeurs par semaine avec New Heights, où les discussions sur le sport mènent au potinage, gracieuseté Taylor Swift.

Ryan Whitney et Paul Bissonnette sont à la barre de Spittin’ Chiclets, trois heures d’anecdotes hebdomadaires sur le hockey qui génèrent en moyenne 635 000 vues par épisode, et totalisant 550 millions de vues sur YouTube.

Ces baladodiffusions attirent les regards, et les gros sous.

Le réseau américain ESPN s’est offert le balado de l’ancien botteur des Colts d'Indianapolis Pat McAfee pour 85 M$, maintenant diffusé quotidiennement à la télévision et sur le web.

LeBron James, avec son studio Uninterrupted, a lancé fin mars Mind the Game, un balado sur le basketball – le premier épisode compte déjà 4 millions de visionnements sur YouTube, et la chaîne près de 500 000 abonnés.

Chez nous, La Poche bleue, lancée sur le web en 2020 par Maxim Lapierre et Guillaume Latendresse, a été vendue en 2023 à la plateforme de contenu Playmaker Capital pour un total évalué à 8,8 millions, après un passage d'un an au réseau TVA Sports annoncé en grande pompe.

Pourquoi autant d’anciens joueurs se lancent dans la baladodiffusion?

Ils offrent une perspective différente de celle d’un journaliste, et s’entourent de compagnies de production. Le sportif qui a déjà joué explique la game autrement. Ce sont aussi des gars qui n’ont pas quitté leur ligue depuis longtemps, avec beaucoup de contacts chez les joueurs actifs. Ils ont une entrée privilégiée et des anecdotes qui créent une complicité avec les athlètes et le public. Ça fait du bon contenu.

L’analyse est d’Alexandre Daigle, ancien joueur de la LNH, premier choix au total du repêchage de 1993 et aujourd’hui producteur exécutif chez Attraction, où il développe des émissions de télévision.

Retraité du hockey depuis 2010, Daigle a ensuite œuvré pour les studios Grandé, à Montréal, où il était chargé d’attirer des productions américaines, et continue sa transition vers la production de contenu depuis maintenant un an. Sa perspective, c’est celle du sportif et d'un professionnel des médias.

Il répond aux questions des journalistes.

Alexandre Daigle connaît bien l'univers des médias, qu'il a d'abord côtoyé comme joueur professionnel, et aujourd'hui en tant que producteur exécutif.

Photo : Getty Images

De son avis, les baladodiffusions sont bienvenues pour les athlètes, pour qui les occasions médiatiques étaient longtemps limitées.

Avant, la seule avenue pour un joueur retraité était à RDS par exemple, où tu as 4 minutes entre les périodes pour donner ton opinion. Avec le balado, le joueur peut développer sa pensée et discuter longuement, dans une conversation. Plusieurs ne seraient pas bons à la télé traditionnelle, mais quand on allonge le format, ils deviennent intéressants et peuvent présenter leur personnalité.

Une avenue nouvelle, de nouveaux revenus

Ce nouveau format, Julien Morissette le connaît bien.

Fondateur du studio Transistor, il produit depuis 2016 des balados narratifs et scénarisés, parfois jusqu'à 100 épisodes dans une année. Observateur du monde du balado, il trace un parallèle avec la télévision sportive, qui a fait la part belle aux joueurnalistes avec l’arrivée des émissions de commentaire comme 110 %, il y a 20 ans.

Je me demande si on est en train de vivre la même chose du côté des médias numériques, analyse Julien Morissette. Ce ne sont pas des balados qui coûtent cher à produire, et les personnalités sportives aident au financement, puisqu'ils vont rejoindre une audience automatiquement. Un athlète peut attirer des annonceurs facilement, et assurer une rentabilité au projet.

De façon générale, les balados populaires suivent une formule conversationnelle, misant sur l'engagement et l'intégration publicitaire que permet la notoriété des vedettes au micro, analyse Julien Morissette. C'est vrai dans le sport comme ailleurs.

C’est comme une actrice québécoise qui se fait offrir un rôle dans Stat plus facilement, parce qu’elle a 100 000 abonnés sur Instagram. Cette logique-là est aussi présente dans le monde des balados. Une tête d’affiche, ça se transforme en cotes d’écoute ou en commandites. Même un diffuseur public comme Radio-Canada a ce souci de notoriété et rentabilité, ça revient dans les développements de projets.

Le balado conversationnel est le moteur actuel de la baladosphère, et de son modèle d'affaires. En 2020, le géant Spotify achetait pour 250 millions le média The Ringer et son catalogue d'une trentaine de balados du genre.

Il parle à un interlocuteur.

Bill Simmons est chef de l'innovation et de la monétisation des baladiffusions chez Spotify.

Photo : Getty Images

Aujourd'hui, le fondateur de The Ringer, Bill Simmons, dirige la section balado de Spotify, chargé d'accroître l'audience internationale pour ce type de contenus. Le public des balados de sport pourrait connaître des hausses annuelles de 20 % entre 2023 et 2030, selon une étude de Grand View Research.

Au Québec, on a été un peu à l'abri de la bulle du podcast, mais aux États-Unis, on a vu beaucoup de studios se créer, obtenir des investissements privés, et développer des propriétés intellectuelles pour les revendre, que ce soit à SiriumXM, Amazon, Spotify ou Wondery. Aujourd'hui, en dehors des histoires à succès, on se rend compte que le balado n'est peut-être pas la ruée vers l’or qu’on avait espérée.

Résultat : On se retrouve en ce moment dans une logique où on essaie globalement de produire au plus faible coût, en visant le plus de résonance possible, indique Julien Morissette.

Parce qu'il est plus simple d'organiser une discussion improvisée que de produire un documentaire scénarisé, quand on recherche la profitabilité.

Une conversation entre « chums »

Les balados populaires de sport sont aussi l'occasion pour les joueurs de se présenter sous leur meilleur jour, à une époque où les athlètes deviennent des marques.

Les athlètes qui vont là, ils savent à qui ils s’adressent et combien de personnes vont écouter, illustre Alexandre Daigle. Ceux qui participent, c’est aussi pour leur propre popularité, et ce qu'ils ont à vendre dans la vie. C’est pas juste pour le bien du podcast, les joueurs ont aussi des commanditaires. C’est des bonnes affaires niveau business.

Il faut que tu en fasses des médias pour passer ton message, et c’est super le fun aller faire un podcast, tu parles à un de tes chums !

Une citation de Alexandre Daigle

Au Canada, 36 % des anglophones et un quart des francophones de 18 ans et plus consomment des balados, une proportion qui monte à 51 % chez les 18-34 ans, selon le plus récent rapport de l'Observatoire des technologies médias.

Ce ne sont pas seulement les partisans qui aiment le format, les joueurs aussi.

En décembre, la vedette de la NBA Nikola Jokic participait à Curious Mike, un balado animé par son coéquipier des Nuggets de Denver Michael Porter fils. Après sa participation, Jokic estimait s’être fait poser les meilleures questions depuis qu’il a rejoint la NBA.

Est-ce que les joueurs sont réfractaires à parler aux journalistes? Alexandre Daigle croit que certaines conversations sont moins propices aux confidences avec les médias traditionnels.

Pour une entrevue pure de hockey, un joueur professionnel n’est pas réfractaire aux journalistes, parce que ça fait partie de la job. On est habitués. Mais pour des sujets humains, quand on entre dans ta bulle et ta famille, oui, ça c’est sûr que tu deviens frileux.

Parce que le lien de confiance, souvent, n'est pas là avec un journaliste, et ça devient difficile de s'ouvrir. Dans un balado, t’es avec un ancien joueur, quelqu'un que tu considères comme un chum.

Une citation de Alexandre Daigle

Sans lien de confiance, ni d'occasion d'en tisser un avec un accès récurrent aux vestiaires, on assiste à un cercle qui se referme, note Julien Morissette. D’un point de vue journalistique, c’est problématique que ce ne soit que des ex-athlètes qui discutent entre eux.

N'empêche, le balado entre chums, qui permet l'authenticité et de rester soi-même, disait Guillaume Latendresse, est une tendance de fond. Même que l’athlète devenu producteur est aussi un phénomène en soi.

Peyton Manning, avec sa compagnie Omaha Productions, produit la série Quarterbacks sur Netflix et l’émission ManningCast à ESPN avec son frère Eli.

Le géant grec de la NBA Giannis Antetokounmpo produit lui-même The Marvelous Journey, le documentaire d’Amazon Prime sur sa vie, avec sa maison de production Improbable Media.

Tom Brady est producteur exécutif de la série documentaire sur sa carrière Man in the Arena, commandée par ESPN.

Alexandre Daigle, lui, est la vedette d’un documentaire d’Amazon paru en début d’année. Il admet que ce n’est pas à n’importe qui qu’il aurait accepté de confier l’histoire de sa vie.

J’ai fait confiance à la LNH et aux producteurs quand ils m’ont approché pour ce projet. Je les sentais comme mes grands frères là-dedans, qu’ils avaient mes intérêts à cœur en voulant bien raconter mon histoire. Mais avec une autre équipe, un autre diffuseur, le contrat aurait été différent. J’aurais demandé le droit de regard final sur tout. Le sujet, c’est quand même ma vie, et tu ne veux pas que ce soit raconté tout croche non plus.

Pour offrir un maximum de visibilité à son projet, les médias traditionnels sont encore essentiels, rappelle Alexandre Daigle, d’autant plus qu’ils sont nombreux à s’associer, voire à racheter, des contenus sportifs établis.

Il faut que tu touches un peu à tout. Quand tu as un contenu, les médias traditionnels vont t'aider à rejoindre une plus grande audience, ils sont utiles pour le promouvoir et le faire passer à un autre niveau. C’est un écosystème, le monde médiatique.

Un écosystème en transformation

Pour Julien Morissette, le coup à jouer face à la norme, c’est de ne pas faire la même affaire, et de bien comprendre le rôle que tu peux jouer dans cet écosystème.

Quelqu’un dans la logique de faire de l’argent ne va pas se lancer dans une série documentaire, par exemple. Mais on aura toujours besoin de gens qui ont des connaissances, le temps de faire de la recherche et le jugement éditorial pour offrir une valeur ajoutée.

Julien Morissette dans un studio radio.

Julien Morissette a fondé Transistor Média en 2016. Il produit des balados narratifs et scénarisés, parfois jusqu'à 100 épisodes dans une année.

Photo : Radio-Canada

Pour lui, le défi est de trouver une façon de soutenir une offre différente, particulièrement chez les diffuseurs publics.

Le média traditionnel répond à des codes et à des besoins différents, des modes de financement et fonctionnement différents, souligne Julien Morissette. Le balado narratif a sa place, comme une tribune d’athlètes qui discutent. C’est important que les deux existent pour une offre diversifiée, il ne faut pas chercher à seulement reproduire la même idée. Ce n’est pas juste entre deux athlètes qu’on peut obtenir de la qualité.

Pour l'heure, l'écosystème médiatique pivote néanmoins vers les athlètes entrepreneurs.

Aujourd'hui, 64 % des amateurs de sports indiquent consommer des balados de sport, selon un récent rapport d'Edison Research commandé par SiriusXM, et les deux tiers préfèrent ceux pilotés par des athlètes.

Le sport a-t-il encore besoin de journalistes, ou est-ce que son futur est une suite de divertissements conçus par et entre joueurs?

Tout le monde a une façon de gober l’information. Ça prend différents contenus pour rejoindre différentes personnes.

Une citation de Alexandre Daigle

Je crois beaucoup au journalisme sans agenda, salue Alexandre Daigle. L'information factuelle, en profondeur, va toujours rester. Oui, c'est le fun des entrevues avec les joueurs, mais c’est le fun aussi des journalistes avec une perspective différente, impartiaux devant leurs commandites ou l'ampleur des contrats qu’ils ont signés.

Julien Morissette, lui, fait le pari des productions qui demandent beaucoup plus de moyens, et de la rigueur journalistique pour raconter des histoires qui rejoignent un public différent.

Il y a de la place pour tous les modèles, conclut Julien Morissette. Il ne faut pas s’en tenir à une logique économique de coût de production versus cotes d’écoute, parce que ça va homogénéiser l'offre médiatique, et on ne veut surtout pas ça. Avec le balado, ce qui est beau, c’est le bouquet de formats qu’on peut offrir aux gens.

Mais pour que tout le jardin fleurisse, chacun doit avoir sa place au soleil.

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