Vous naviguez sur le site Mordu

Cette boisson fraîche et fruitée, idéalement pétillante, est parfaite pour l'été. Et si vous fabriquiez votre propre cidre? | Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche

Faire son propre cidre est une aventure qui exige de la patience, la prise de risques et une bonne dose de recherche. Avec un budget somme toute modeste, beaucoup de temps et 60 litres de jus de pommes, j’ai réussi à faire du cidre maison. Et il est plus que buvable! Voici les hauts et les bas de cette expérience hors du commun.

Octobre 2021. Mon ami Alex et moi discutons de ce projet qu’on caresse depuis un bout, celui de faire du cidre. Au fil de nos dégustations de cidres, nous avons développé un palais plus raffiné pour ce breuvage pétillant, léger et fruité. Sauf que nous voulons aller plus loin et faire notre propre cuvée, nos propres essais.

Au fil des derniers mois, nous avons donc élaboré notre cidre maison en suivant les précieux conseils de plusieurs personnes, et en nous informant auprès de groupes de discussion en ligne et dans des livres. J’ai voulu expliquer ici les étapes que nous avons suivies, nos erreurs et nos réussites, afin que le plus de gens possible puissent tenter cette expérience stimulante et satisfaisante.

Avant d’aller plus loin, il faut rappeler que ceci est un récit de la méthode que nous avons utilisée pour faire notre cidre et non une recette à suivre à la lettre. Si 10 personnes choisissent la même méthode et les mêmes ingrédients pour faire du cidre, elles obtiendront 10 cidres différents.

Les premiers pas

Nous passons la porte d’Atelier bière et vin(Nouvelle fenêtre), une boutique longueuilloise spécialisée dans la fabrication de boissons alcoolisées maison. Richard Cupryk, alias Rich, le maître des lieux et spécialiste de la bagosse, nous prend aussitôt par la main et devient notre guide dans cette folle aventure.

Il a du mal à retenir un sourire en coin lorsque nous lui affirmons que nous voulons faire un cidre nature, c’est-à-dire un cidre dont la fermentation a démarré grâce aux levures naturellement présentes sur la peau des fruits.

Il nous conseille quand même de faire des essais avec des levures sélectionnées et des intrants chimiques pour faciliter la fermentation et améliorer l’apparence du cidre, mais concède qu’une partie de notre moût pourrait être fermentée en mode nature pour comparer les deux méthodes.

Voici donc la liste de l’équipement et des produits que nous avons achetés :

  • 4 touries usagées trouvées sur un site de revente : ces récipients en verre de 23 litres sont les contenants où se déroule la fermentation.

  • 3 barboteurs : ces valves empêchent l’air d’entrer dans la tourie, mais permettent au gaz carbonique de s’échapper durant la fermentation.

  • Densimètre (ou hydromètre) et cylindre gradué : le densimètre permet de calculer le taux d’alcool, et donc l’évolution de la fermentation alcoolique.

  • Siphon et baguette de mise en bouteille : pour prélever le moût et le faire passer d’une tourie à une autre ou vers les bouteilles.

  • Chaudière de brassage

  • Bouchons métalliques

  • Levures : deux de nos trois cuvées ont été ensemencées avec des levures industrielles.

  • Fermaid K : ce produit nourrit les levures et aide la fermentation.

  • Enzyme pectique : afin de rendre le cidre moins trouble.

  • Métabisulfite de potassium : pour la désinfection des équipements.

  • Aseptox : pour la stérilisation des bouteilles

  • Dextrose

Coût de l’équipement et des produits de base : environ 140 $

Dans le jus

Nous avons de la difficulté à trouver assez de pommes pour faire une quantité acceptable de cidre; pour obtenir un litre de jus, il faut presser entre 1,5 et 2 kilogrammes de pommes avec une bonne presse. Disons que les acheter à l’épicerie aurait coûté une petite fortune.

Puis, comment les presser? Il faut louer une presse et un broyeur, mais ces équipements ne courent pas les rues. C’est possible, mais compliqué.

Par hasard, nous apprenons l’existence d’un événement appelé La grande presse(Nouvelle fenêtre), qui invite les gens à découvrir les productions cidricoles du Québec et offre même d’acheter du jus fraîchement pressé d’un verger.

Équipés de nos touries – les réservoirs dans lesquels se déroule la fermentation – et des accessoires nécessaires à notre nouveau projet, nous débarquons à la cidrerie Équinoxe(Nouvelle fenêtre), à Farnham, lors de La grande presse.

Alex remplit la presse pneumatique avec les pommes broyées.
Alex remplit la presse pneumatique avec les pommes broyées. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Les sympathiques Audrey-Anne Lussier et Marc-Antoine Arsenault-Chiasson mènent cette belle ferme cidricole. Pour quelques dizaines de dollars, Marc-Antoine nous vend des pommes Cortland tirées de son verger en transition vers le bio, et nous montre comment utiliser le broyeur et la presse pneumatique de son chai. Nous y ajoutons un mélange de pommes que nous avons récoltées ou reçues d’amis, quelques pommettes, des Liberty et des McIntosh.

Nous nettoyons et nous stérilisons nos touries, puis nous effectuons le remplissage.

Coût du moût, incluant le broyage et le pressage : 60 $

La magie

Le sourire fendu jusqu’aux oreilles, nous repartons de la cidrerie avec trois touries pleines d’un jus trouble qui embaume la voiture d’un parfum de pommes mûres. Le travail peut commencer.

La première étape est de calculer la densité du moût : en connaissant la masse volumique pré et post-fermentation, on pourra inférer le taux d’alcool précis et suivre l’évolution du cidre. Le nôtre est à 1,048, soit un peu plus dense que l’eau.

Lorsque la fermentation aura transformé les sucres en alcool, notre cidre devrait avoir une masse volumique plus basse que celle de l’eau, puisque l’alcool est moins dense. La différence entre les deux lectures est une variable essentielle pour le calcul du taux d’alcool. Fin du cours de physique.

Les premiers jours de la fermentation du cidre sont bien occupés. Pour les cuvées conventionnelles, il faut les dépectiniser en ajoutant l’enzyme pectique, ce que nous faisons le 23 octobre. Quant à la cuvée nature, nous la laissons tout simplement sur un tapis chauffant du type utilisé pour tenir les semis au chaud. La proximité d’une plinthe chauffante fera aussi l’affaire.

Le lendemain, nous ajoutons les levures en prenant soin de les hydrater dans un peu d’eau avant de les mettre dans le moût. Une des levures s’appelle QA23 et l’autre, D47. Ces deux noms un peu impersonnels permettent encore à ce jour de distinguer les deux cuvées.

L’effet des levures ne prend que peu de temps à se faire sentir : la même journée, un amas de pulpe de pomme, appelé chapeau brun, s’agglutine dans le haut des touries.

De son côté, le cidre nature ne révèle aucune activité, mais à ce stade-ci, c’est normal. En comparaison avec les levures industrielles, les levures sauvages sont moins rapides et sont présentes en moins grande quantité dans le moût.

Ce n’est que le 25 octobre, soit deux jours après la pressée, que le cidre nature commence à montrer des signes de fermentation. De petites bulles apparaissent et un dépôt se forme au fond de la tourie, puis un chapeau se forme sur le dessus, le lendemain.

À ce moment, je lis, sur le très utile groupe de discussion Cidre amateur Québec sur Facebook, qu’il est recommandé de laisser son cidre nature à une température assez basse, autour de 19 degrés, afin que la fermentation se déroule bien. La porte près de mon balcon étant assez mal isolée, la température y est plus fraîche que dans le reste de l’appartement, c’est donc là que les touries sont déplacées.

Autour du 28 octobre, la fermentation est visiblement active dans les trois touries. Il y a eu quelques débordements durant les jours précédents. Rien ne sert de paniquer, il faut simplement bien nettoyer le barboteur et le replacer. Si l’activité est trop intense, on peut choisir de fermer la tourie avec du film plastique et nettoyer le goulot régulièrement en attendant que le tout se calme, puis de replacer le barboteur.

La fermentation est active mais elle a atteint un niveau plus calme, où le liquide ne s'éjecte plus hors des touries. Celles-ci sont placées dans une zone plus froide de l'appartement.
La fermentation est active mais elle a atteint un niveau plus calme, où le liquide ne s'éjecte plus hors des touries. Celles-ci sont placées dans une zone plus froide de l'appartement. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Les deux cuvées conventionnelles se stabilisent. On voit beaucoup de bulles dans le cidre, signe que la fermentation est active, mais les éruptions du début sont terminées.

Ça se corse

Le 29 octobre, je sens une odeur d'œufs pourris qui émane de la tourie de cidre nature. C’est mauvais signe : le soufre est émis par les levures lorsqu’elles n’ont pas les nutriments et l’oxygène nécessaires.

C’est ce genre de choses qui sont évitées par les fameuses petites poudres chimiques qu’on ajoute au cidre dans la production conventionnelle. Mais loin de nous l’idée d’abandonner!

Suivant les conseils prodigués par les membres du groupe Cidre amateur Québec, nous brassons la tourie pour l'oxygéner. On nous recommande aussi de tout simplement… attendre. Au frais, idéalement. Alex propose de laisser la tourie dans son sous-sol non isolé qui, en cette fin d’octobre, est un endroit très frais, autour de 10 degrés.

Le même jour, nous ajoutons les nutriments à levures Fermaid K à raison de 0,5 g/4 l dans les cuvées conventionnelles. Puis nous laissons ces deux touries à la température de la pièce pendant deux semaines.

L’éclaircie

Le 14 novembre, nous descendons dans la cave pour ramener la tourie nature à l’intérieur. Quelle surprise nous avons en ouvrant le bouchon : l’odeur de soufre a disparu! Victoire!

Cette journée-là, nous préparons les touries pour le premier soutirage. Cette action consiste à siphonner le cidre en laissant les lies au fond. On peut laisser le cidre plus ou moins longtemps sur les lies, mais il y a des risques que le goût s’en trouve changé si on attend trop.

Pour nous assurer d’avoir le moins de turbidité possible, nous laissons les touries à l’endroit où nous ferons le soutirage pendant 24 heures.

Le lendemain nous faisons notre premier soutirage, ce qui veut dire que nous pouvons enfin goûter à notre cidre pour la première fois! Il est à peine pétillant et un jeune cidre comme celui-là n’a pas encore son goût final.

Les deux cidres conventionnels sont très secs, avec une acidité modérée. La robe, jaune pâle, laisse voir qu’il y a encore un peu de matières en suspension. À 0,993 et 0,996 de densité, les deux cuvées n’ont plus de sucre à fermenter pour les levures.

Le cidre nature n’a pas encore terminé sa fermentation. Son séjour au froid et son départ plus lent expliquent cet écart. Nous notons des arômes fruités et un peu de sucre lors de la dégustation. Somme toute, ce n’est pas désagréable.

Une fois que les trois cuvées ont été soutirées, on doit ajuster le niveau de liquide, puisqu’une partie est perdue pendant le soutirage. Nous aurions dû faire des réserves de jus frais lors du pressage et les congeler, c’est le plus gros oubli de tout le processus. Nous utilisons plutôt du jus de pommes de marque Tradition, qui contient moins d’additifs que d’autres marques.

Bien remplies, soutirées, les touries vont maintenant à la cave, où elles passeront tout l’hiver. Il est nécessaire de trouver un endroit assez frais pour que la fermentation ne soit pas trop rapide. Ce temps d’attente permet d’assagir le cidre, qui va développer ses arômes pour être plus équilibré. Beaucoup de cidres vendus au Québec restent en affinage pendant plusieurs mois.

Le printemps

Les touries sont en place pour le soutirage au moins 24 heures à l'avance afin de ne pas déranger les lies. On voit bien la différence de couleur et de turbidité entre les différentes cuvées.
Les touries sont en place pour le soutirage au moins 24 heures à l'avance afin de ne pas déranger les lies. On voit bien la différence de couleur et de turbidité entre les différentes cuvées. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Avec le retour des beaux jours, nous remontons les touries dans l’appartement d’Alex. Lors de la dégustation tant attendue, on retrouve un nez très fruité, presque de banane, dans le cidre fait avec la levure QA23. Au palais, c’est léger, sec, avec un corps assez mince. Nous trouvons qu’il est plutôt vineux.

Pour le cidre fait avec la levure D47, nous avons de la difficulté à trouver du plaisir à le déguster, mais ce n’est pas un mauvais cidre. À 6,9 %, c’est notre cidre le plus fort en alcool. Les deux autres sont à 6,5 %. En entrant nos deux lectures dans un calculateur d’ABV en ligne(Nouvelle fenêtre), nous pouvons avoir une estimation assez précise de leur taux d’alcool.

Pour le cidre fait avec les levures sauvages, nous goûtons à un monde de différence. Si le nez est plus docile que les deux autres, au palais c’est une tout autre histoire, composée de notes fruitées beaucoup plus aromatiques. Ça part dans tous les sens, mais c’est positif.

Nous prenons la décision d’attendre encore un peu, cette fois à température pièce, pour laisser le tout se stabiliser avant la mise en bouteille.

Les flacons

C’est alors la mi-mai et nous décidons qu’en prévision de l’été, de ses pique-niques et de ses fêtes, nous voulons partager notre cidre. Pour avoir un cidre pétillant avec la méthode traditionnelle, il faut rajouter du sucre. Nous choisissons le dextrose, qui se dissout très bien dans le moût afin de s’assurer que chaque bouteille contienne la même dose de sucre.

Nous allons louer, à la boutique Atelier bière et vin, une encapsuleuse pour les bouchons de type européen qui vont sur les bouteilles de vin mousseux et de cidre que nous ramassons depuis an. Il faut d’ailleurs enlever les étiquettes, laver au savon, rincer, puis stériliser près de 70 bouteilles, un travail de moine qui nous prend une journée complète.

La préparation, le nettoyage et la stérilisation des bouteilles est un processus pour le moins chronophage.
La préparation, le nettoyage et la stérilisation des bouteilles est un processus pour le moins chronophage. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Le jour de l’embouteillage est finalement arrivé. Nous préparons les équipements nécessaires. On ajoute une sorte de petite baguette au bout du siphon avec une valve activée par la pression. Lorsqu’on l’appuie au fond de la bouteille, le cidre coule, et il s’arrête lorsqu’on relâche la pression.

Ensuite, on soutire dans la chaudière de brassage pour connaître le volume final de cidre pour chaque cuvée. En calculant 8 g de dextrose par litre, on peut s’assurer d’avoir des bulles fines pour une effervescence bien contrôlée.

Il faut bien mélanger pour dissoudre le sucre, puis ajouter une pincée de levures sèches de type EC1118. Finalement, il faut remplir les bouteilles bien stérilisées jusqu’au col. Le volume de la baguette de remplissage fait en sorte que lorsqu’on la retire, la quantité dans chaque bouteille est optimale.

Grâce à l'ajout du sucre et des levures, la fermentation redémarre, mais cette fois-ci, comme les bouteilles sont hermétiquement bouchées, le gaz carbonique est emprisonné dans le liquide. C’est ce qui donne le pétillant.

Reste à répéter ces étapes pour les deux autres cuvées.

La dégustation finale

Nous devons patienter pendant six semaines.

C’est le 18 juin, soit 238 jours après avoir pressé nos pommes, que nous goûtons enfin au résultat final de notre travail. Le cidre est réussi. Il est pétillant avec une légère bulle.

La cuvée faite de levures sauvages présente un nez très attirant, un peu fermier. Au palais, c’est du gros plaisir, très fruité, avec des arômes de pommes mûres et une légère acidité.

C’est le cas aussi pour les deux autres cuvées, mais celles-ci présentent moins d’amplitude aromatique. On y trouve toutefois une belle légèreté, pas de sucre et une faible acidité. La meilleure des deux est sans conteste celle de la levure QA23.

Les erreurs

Comme c’est en se trompant qu’on apprend, voici quelques petits oublis ou erreurs que nous tenterons de ne pas reproduire :

  • Il faut garder davantage de jus pour pouvoir remplir les touries après le soutirage. Environ deux litres par tourie de 23 litres seront suffisants.
  • Il faut enlever les étiquettes des bouteilles récupérées au fur et à mesure qu’on les récolte. La journée entière passée à enlever les résidus collants aurait pu être écourtée.
  • Le dosage de sucre pourrait être augmenté à 9 ou 10 g pour produire une bulle plus abondante.
  • Des pommes à cidre, donc très tanniques, auraient apporté de la structure et de la profondeur à notre cidre. Ces pommes peuvent toutefois être difficiles à trouver, car elles sont encore rares au Québec.
  • La prochaine fois que nous ferons du cidre, nous le ferons à 100 % avec des levures sauvages et sans intrants chimiques. Ce processus n’a pas, à notre goût, apporté une amélioration significative à la qualité du cidre. Aucun regret toutefois pour le choix de la méthode conventionnelle; il fallait l’essayer.

Conclusion : on le refait!

C’est environ 80 bouteilles de 750 ml de cidre que nous avons produites. Selon le prix actuel, cela représente une somme de 1500 $, au bas mot. Avec notre budget d’environ 200 $, c’est une véritable aubaine. Et il s’agit de la première année. Pour notre deuxième millésime, nous n’aurons pas à racheter d’équipement.

Au-delà du fait de sauver un peu d’argent, faire son propre cidre est une plongée fascinante dans un processus fragile et merveilleux. Nous sentons que nous n’avons qu’effleuré la surface de cet artisanat et que les années futures nous apporteront beaucoup d’apprentissages, de plaisir et, avec un peu de chance, de très bon cidre.

Ce cidre est fermenté grâce à des levures sauvages et présente une robe jaune paille, une fine bulle et des arômes de pomme mûres.
Ce cidre est fermenté grâce à des levures sauvages et présente une robe jaune paille, une fine bulle et des arômes de pomme mûres. | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne
Cette boisson fraîche et fruitée, idéalement pétillante, est parfaite pour l'été. Et si vous fabriquiez votre propre cidre? | Photo : Radio-Canada / Ariane Labrèche