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L'hyperphagie boulimique est un trouble de santé mentale qui se caractérise par des moments de frénésie alimentaire qui ne sont pas suivis par une méthode de compensation.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

L’hyperphagie boulimique est un trouble du comportement alimentaire qui se caractérise par des rages de bouffe incontrôlables. C'est le trouble alimentaire le plus répandu au pays, mais son existence est pourtant méconnue d’une grande partie de la population. Lumière sur la réalité des personnes qui en souffrent, et sur des façons de s’en sortir.

À l’aube de l’adolescence, le journaliste Jordan Dupuis a développé une habitude qui est devenue selon lui une dépendance. Il mangeait comme sa fratrie à table, mais une fois le repas fini, il se rendait seul à vélo déguster une portion de frites en secret. Rien de très alarmant jusqu’ici.

Puis, les frites sont devenues la porte d’entrée vers des moments vécus en cachette et en groupe, où il mangeait plus que ce que son corps pouvait soutenir. Ces frénésies alimentaires se sont répétées jusqu’à l’âge adulte. Il était drapé dans des sentiments de honte et de culpabilité, et ces épisodes de perte de contrôle autour de la nourriture étaient autant impossibles à freiner que le gain de poids qui les accompagnait.

Le lendemain de Pâques, j’allais acheter tous les chocolats en rabais à la pharmacie, se souvient Jordan Dupuis. Je me ramassais avec trois kilos de sucreries à la maison. Je pouvais manger 12 œufs Cadbury par jour.

L'animateur et chroniqueur Jordan Dupuis.
L'animateur et chroniqueur Jordan Dupuis. | Photo : Radio-Canada / Stéphanie Dupuis

Ce que Jordan Dupuis ne savait pas, c’est que ces périodes de compulsion alimentaire n’étaient pas le résultat d’un manque de discipline. Il souffrait du trouble du comportement alimentaire (TCA) le plus prévalent chez la population : l’hyperphagie boulimique.

Vivre avec des rages alimentaires

Ce TCA est un trouble de santé mentale qui se caractérise par des moments de frénésie alimentaire qui ne sont pas suivis par une méthode de compensation, comme de l’exercice physique ou des vomissements.

Les personnes qui souffrent d’hyperphagie boulimique mangent compulsivement, sans pouvoir s’arrêter, pendant de courtes périodes. Ensuite, elles se sentent coupables, éprouvent de la honte et du dégoût.

L’hyperphagie boulimique serait le TCA le plus répandu, bien qu’elle soit méconnue. On considère que 3 % de la population en souffre, selon le LoriCorps, le laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les troubles du comportement alimentaire en lien avec la réalité virtuelle et la pratique physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

L’hyperphagie boulimique est entrée officiellement dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) en 2013.

La population ne sait pas que c’est un trouble alimentaire et elle confond ça avec le fait de ne pas être capable de se prendre en main, explique Marie-Pierre Gagnon-Girouard, psychologue. L’hyperphagie vient souvent avec une prise de poids importante. Les gens confondent un TCA avec un problème de discipline, ce qui n’est pas la même chose.

La professeure en psychologie de la santé à l’Université du Québec à Trois-Rivières constate que la nourriture en vient à avoir une emprise sur les personnes atteintes d’hyperphagie boulimique, autant dans la restriction que dans la compulsion.

Quand la chirurgie bariatrique ne suffit pas

Dans ses périodes de compulsions alimentaires, Jordan Dupuis se sentait contrôlé par un ogre affamé à l’intérieur de lui. C’est l’image qui m’a toujours habité. Ma caverne était ma voiture, où je mangeais en cachette. Maintenant, il est fatigué et il est vieux, mais il est encore là. Je pense que tout le monde a un ogre à l’intérieur de soi. On le canalise tous et toutes différemment.

Cette réalité l’a tellement marquée qu’il publiera un livre en avril prochain sur l’histoire de sa vie ponctuée d’épisodes de frénésie alimentaire. À travers Tuer l’ogre, l’auteur dévoile le processus qui lui a permis de se remettre de l’hyperphagie boulimique.

Jordan Dupuis a entamé une thérapie qui lui a permis de comprendre son trouble du comportement alimentaire.
Jordan Dupuis a entamé une thérapie qui lui a permis de comprendre son trouble du comportement alimentaire.  | Photo : Gracieuseté : Jordan Dupuis

Alors qu’il avait atteint un poids de 340 livres à l’aube de la vingtaine, Jordan Dupuis a décidé d’opter pour la chirurgie bariatrique. L’opération est loin d’avoir signé la fin de son trouble du comportement alimentaire. C’est seulement en entamant une thérapie et en fréquentant un groupe de soutien d’Anorexie et boulimie (ANEB) Québec que l’auteur est arrivé à panser ses blessures.

« C’est injuste, la façon dont l’hyperphagie boulimique est traitée socialement. »

— Une citation de  Jordan Dupuis

Selon son expérience, la population n’a pas autant d’empathie envers les personnes souffrant d’hyperphagie boulimique qu’envers celles qui vivent avec d’autres TCA, comme l’anorexie. Derrière ce manque de compassion se cache de la grossophobie, à son avis. Jordan Dupuis ne croit d’ailleurs pas qu’il aurait opté pour la chirurgie bariatrique s’il avait su qu’il était atteint d’hyperphagie boulimique. Je pense que j’aurais essayé de voir où la thérapie me mènerait avant de choisir ça, ajoute-t-il.

Pour en finir avec la grossophobie

L’un des objectifs de faire connaître l’hyperphagie boulimique est de réduire la stigmatisation envers les gens qui ont un poids élevé, estime Marie-Pierre Gagnon-Girouard, professeure en psychologie de la santé à l’Université du Québec à Trois-Rivières. La science nous dit qu’on n’a pas beaucoup de contrôle sur notre poids, et encore moins quand on souffre de ce trouble du comportement alimentaire.

Jordan Dupuis constate cette stigmatisation. Quand il raconte son histoire, les gens lui demandent comment il a perdu tous ces kilos. Il parle alors de sa chirurgie bariatrique, puis de son processus en thérapie. Dès qu’il fait référence à cette opération, il observe qu’on accorde plus d’importance à cette étape alors que les autres sont celles qui l’ont véritablement aidé.

«  Je suis mince maintenant et je me fais dire que je suis beau, mais si je pouvais prendre 60 livres, être en bonne santé et ne plus avoir de problèmes liés aux complications de cette opération, je le ferais demain matin. Je suis fier de ce que j’ai appris mentalement. Le corps n’est pas ma source de fierté. »

— Une citation de  Jordan Dupuis

Sonia Tremblay, créatrice de contenu et militante contre la grossophobie, estime que de parler ouvertement des TCA permet de briser l’isolement. C’est difficile de sensibiliser les gens à être bienveillants quand ils ne voient pas le problème, reconnaît-elle. Ces problématiques sont un peu comme la dépression, qui reste invisible pour les yeux. Il faut donc en parler.

Se nourrir suffisamment pour guérir

Comment se sortir de l’hyperphagie boulimique? Avec un suivi en psychologie et en nutrition. L’important est que personne ne mette de la pression [aux gens de] perdre du poids, soutient la psychologue Marie-Pierre Gagnon-Girouard.

Catherine Bergeron, nutritionniste à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, aide sa patientèle atteinte de ce trouble à développer une alimentation régulière. Manger trois repas par jour et des collations permet d’éviter la restriction, qui peut mener vers des compulsions plus tard.

« On tente de déconstruire les interdits alimentaires en mettant tous les aliments sur le même pied d’égalité. »

— Une citation de  Catherine Bergeron

En thérapie, Marie-Pierre Gagnon-Girouard cherche à déterminer les déclencheurs de crises avec les personnes en consultation. Connaître les moments et contextes où les crises surviennent, ainsi que les émotions présentes lorsque la compulsion alimentaire survient aide à trouver des solutions de rechange pour faire face à ces événements. La psychologue considère qu’il est aussi essentiel de travailler sur l’estime de soi des gens atteints de TCA dans le but qu’ils arrivent à percevoir leur valeur en se basant sur autre chose que leur alimentation et leur poids.

L'hyperphagie boulimique est un trouble de santé mentale qui se caractérise par des moments de frénésie alimentaire qui ne sont pas suivis par une méthode de compensation.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier